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OMAR M'A TUER

Un film de Roschdy Zem

L’Arabe qui cache la forêt

Omar Raddad est le jardinier de Ghislaine Marchal, propriétaire d’une luxueuse villa dans les hauteurs de Cannes. En 1991, celle-ci est retrouvée sauvagement assassinée, dans sa cave. Sur la porte, à l’intérieur, une inscription accuse : « Omar m’a tuer », peut-on lire en lettres de sang. La police arrête, devant sa famille, Omar Raddad, qui ne cessera de clamer son innocence...

D’abord destinée à Rachid Bouchareb, l’adaptation de l’histoire d’Omar Raddad est arrivée dans les mains de Roshdy Zem, intéressé par le projet qui dormait dans un tiroir en attendant que le réalisateur d’ « Indigènes » trouve du temps pour s’y consacrer. Roshdy Zem devait d’ailleurs tenir le rôle du jardinier, mais, une fois maître à bord, il a préféré le proposer à Sami Bouajila, son complice depuis bien des années.

« Omar m’a tuer » est certainement la phrase ensanglantée la plus célèbre des histoires judiciaires de notre temps. Très médiatisée, l’affaire inspire aujourd’hui le cinéma, qui lui donnera peut-être une seconde vie. Souvenons-nous qu’ « Indigènes » avait permis une harmonisation des pensions des anciens combattants coloniaux. Bis repetita avec « Omar » ? L’avenir nous le dira. Mais il y a fort à parier que le cinéma sensibilise l’opinion publique (avant les politiques) sur les dessous d’une sombre affaire, survenue au début des années 1990.

Roshdy Zem revient donc sur cet épisode judiciaire trouble et témoigne du destin hors norme de cet homme accusé de meurtre… « par une porte » ! L’inscription était, en effet, pratiquement la seule charge contre Raddad. Zem met en évidence les dysfonctionnements d’une enquête balayée d’un revers de main visant à mettre le plus vite possible sous les verrous le coupable idéal.

Zem oriente sa propre enquête pour tirer le portrait de Raddad, père de famille marocain, qui sait tout juste parler français, et condamné pour, de toute évidence, un meurtre qu’il n’a pas commis. Même son avocat, maître Vergès, dit de lui qu’il est le premier innocent qu’il a défendu ! Si Zem présente quelques ambiguïtés du personnage (il n’a pas voulu dresser un portrait tout blanc du jardinier), il dénonce clairement de nombreux points de l’enquête qui ont conduit un homme en prison, certes aujourd’hui libre (il a été partiellement gracié par le Président Chirac en 1996), mais pas encore innocenté par notre Justice.

Zem n’est pas le premier à tirer la sonnette d’alarme sur les dessous de cette affaire. D’ailleurs, il ne fait que reprendre point par point les arguments de Jean-Marie Rouart, auteur d’un livre, un brûlot, « Omar Raddad : la construction d’un coupable », dont le film s’inspire largement. Zem construit son film en diptyque : d’un côté l’enquête d’un romancier interprété par Denis Podalydès (le personnage de Rouart en réalité, mais masqué sous un autre nom), de l’autre l’accusation, l’arrestation, les procès et la prison vécue par Omar Raddad (impeccable Sami Bouajila).

Dans la première « enquête », Roshdy Zem dresse la liste de toutes les incohérences, de toutes les irrégularités de l’investigation et toutes les invraisemblances du dossier. Pas de trace de sang sur Omar, pas d’empreintes du jardinier sur les lieux du crime, un corps incinéré quelques jours après les faits, un appareil photo qui disparaît, des horaires qui ne concordent pas… La liste est longue, si longue d’ailleurs que Roshdy Zem a choisi de ne pas toutes les reprendre dans son film. À tort d’ailleurs, car au bout d’1h30 que dure « Omar m’a tuer », on se dit qu’il aurait pu aller encore plus loin sur les contre arguments, les contre expertises, les pistes des vrais assassins… un peu à la manière d’Oliver Stone dans « JFK » avec Kevin Costner, qui prenait le temps de décortiquer chaque piste.

Mais Roshdy Zem a fait un autre choix, celui de tirer le portrait d’un homme, coupable aux yeux de notre Justice, mais que l'on ne peut s’empêcher, en sortant de la salle de cinéma, de voir comme une victime. Sami Bouajila excelle dans la peau de Raddad, 10 kg en moins, le front toujours lisse d’un homme imperturbable, droit dans ses bottes, droit dans sa dignité. Tout passe par le regard du comédien : son incompréhension du système et de notre justice, sa peine de voir sa famille souffrir, son espoir de se voir innocenter, son incrédulité et sa naïveté.

A l’heure où Yvan Colonna, le berger corse, a été condamné à perpétuité pour l'assassinat en 1998 du préfet Claude Erignac, le film touche du doigt l’actualité d’une Justice en (dés)équilibre, où la vérité contrebalance le bénéfice du doute. Et si le film de Roshdy Zem tente de faire prendre conscience que la culpabilité d’Omar Raddad n’est pas si évidente que cela, il est aussi là pour nous rappeler une certitude : une femme, Ghislaine Marchal, a elle, bel et bien perdu la vie, assassinée, et que, peut-être, des assassins courent toujours…

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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