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OH, CANADA

Un film de Paul Schrader

En phase terminale

Atteint d’un cancer incurable, le cinéaste Leonard Fife accepte d’accorder une interview à l’un de ses disciples et sous le regard de son épouse Emma. C’est l’occasion pour lui de livrer tous ses secrets et de revenir sur sa vie de réfugié au Canada, ayant fui les États-Unis à la fin des années 1960 pour ne pas participer à la guerre du Vietnam, et ce avant de devenir une figure importante de la gauche et du cinéma…

Il y a sept ans, l’aura triomphale qui aura entouré la réception de "First Reformed" ("Sur le chemin de la rédemption") aura quelque peu compliqué le cas Paul Schrader. Quand bien même le bonhomme reste à l’épreuve de toute critique quant à son travail de scénariste, on était en droit de rester nuancé vis-à-vis de ce prétendu magnum opus, aussi admirable pour sa magnifique épure visuelle que discutable pour un surmoi bressonien perceptible dans chaque plan. C’est qu’au fond, on peinait à se convaincre que Schrader avait les épaules pour égaler, en tant que réalisateur, les grands maîtres pour lesquels il fit briller sa plume (Scorsese et De Palma en tête). Et si la surprise fut forte pour un film aussi percutant et sophistiqué que "The Card Counter" (clairement sa plus belle réussite), "Oh, Canada" fait l’effet d’un gros retour en arrière vers nos a priori d’origine. Film de scénariste plus que de cinéaste ? C’est un peu plus compliqué que ça. Adaptation ratée d’un roman de Russell Banks vingt-sept ans après "Affliction" ? Ce n’est pas la question. Opus instable qui se (nous ?) cherche sans se (nous ?) trouver ? On est sans doute déjà un peu plus proche de la réalité.

Se retrouver là encore face à un récit narré par un personnage rongé par la culpabilité et hanté par l’espoir d’une rédemption n’a strictement rien d’étonnant, surtout lorsqu’on est depuis longtemps familier de cette sensibilité de catholique tourmenté qui a toujours caractérisé son réalisateur. Il est en revanche plus surprenant de dénicher dans cet opus, là encore modeste et épuré (Schrader va au plus simple dans ses cadres comme dans son découpage), une propension à (se) jouer des possibilités de la fiction tout au long de ce retour vers le passé. Quand bien même sa psyché paraît découler des effets mêlés de la maladie et de la chimiothérapie, il n’y a ici aucun doute sur le fait que le protagoniste joue les dilettantes sur la « marche à suivre » (d’entrée, il esquive la première question pour ordonner la ligne du temps à sa guise) et n’obéit qu’à une logique mémorielle plus que jamais sujette à caution. C’est là ce qui se révèle le plus séduisant au premier regard dans "Oh, Canada" : non pas le récit linéaire d’une vie qui se déroulerait devant nos yeux sur fond d’une voix-off illustrative, mais plutôt une sorte de voyage mental qui tend à brouiller l’effet de chronologie et de remémoration. Comme si la vérité ne devait être plus qu’une vue de l’esprit.

Inutile, donc, de s’offusquer de ces apparentes maladresses de structure et/ou de mise en scène, car l’effet de désorientation recherché par le film est à ce prix. Ce qui rend "Oh, Canada" malgré tout décevant tient dans le fait que le scénario impose si lourdement sa logique testamentaire qu’il va jusqu’à sacrifier tout le reste, en particulier une mise en scène qui peine à se libérer et à se démarquer. On a beau s’émouvoir parfois d’un détail mémoriel ou d’une bande-son planante, ce n’est à chaque fois qu’un petit mirage censé nous ramener fissa au fait (ici scénaristique) que « plus rien n’a de sens » et que le passé n’a pas plus de valeur que l’avenir aux yeux d’un personnage d’ores et déjà condamné. On a beau se satisfaire de retrouver enfin Richard Gere dans un vrai beau rôle, l’ensemble du casting s’en tient à un registre de jeu unilatéral qui le prive de toute courbe dramatique (aucun caractère n’évolue). On a beau trouver tout à fait justifié d’achever le récit sur la promesse de son titre (à savoir le franchissement quasi proustien d’une frontière), l’idée est trop abrupte et schématique pour trancher avec le contenu trop terre-à-terre qui a précédé. Plus généralement, on a beau sentir que Schrader a des idées de plans et d’ambiance, il sacrifie tout à la logique d’un scénario trop carré et encadré qui aurait gagné à n’être qu’un prétexte à faire naître un vertige total des souvenirs et des vérités possibles. D’où ce film de timoré qui laisse dans un profond état de frustration.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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