OGRE
La suggestion reine
S’installant dans le Morvan avec son fils de 8 ans, Jules, Chloé devient la très attendue institutrice du village. Alors que Jules, avec ses problèmes auditifs, a du mal à s’intégrer à l’école, sa mère fait la connaissance de Mathieu, étrange médecin. Mais ce sont surtout les veaux éventrés, la disparition affichée d’un garçon à la veste rouge, et les ombres derrière la fenêtre la nuit, qui inquiètent Jules…
Passé en septembre par le Festival de Deauville, "Ogre" d’Arnaud Malherbe était l’événement du Festival de Gérardmer 2022, mis en valeur le samedi soir dans la grande salle à l’Espace Lac. On peut qualifier le film d’une œuvre crépusculaire, située dans un monde rural en voie de désertification, où une certaine loi du silence semble régner autour de disparitions d’enfants et de la mystérieuse bête qui s’attaque au bétail. Mais au-delà du mythe de la créature dévoreuse d’animaux voire d’humains, c’est avant l’ombre de la figure paternelle qui est ici une menace, le scénario évoquant par bribe un passé douloureux, qu’on suppose violent, qu’ont fui la mère et son fils. Une figure dont le médecin, obsédé par la nécessaire prise du poids du garçon et qui se rapproche de la mère, va progressivement prendre la place, aidé par un impressionnant travail sur les sons qui accompagnent sa présence (bruits de mastication, souffle rauque…).
Approfondissant ce travail par l’isolement créé autour du jeune garçon, qui peut couper ses aides auditives ponctuellement, le réalisateur augmente ses inquiétudes, les transmettant au passage au spectateur, en amplifiant les bruits de l’intérieur des corps, travaillant sur sa respiration, ou sa perception de bruits sourds et donc étranges. Jouant avec efficacité sur les contre-jours, l’inconnue que constitue la nuit dans un environnement nouveau, et sur le rendu géométrique d’une forêt omniprésente (où les lignes verticales des arbres sont mises en évidence, évoquant des barreaux d’une prison – ici mentale), la mise en scène s’attache à faire planer le doute sur l’existence d’une créature s’attaquant aux enfants. La panique lisible des chasseurs, le désespoir d’un parent prêt à parler de l’indicible, les étranges rapport de Jules (remarquable,Giovanni Pucci, découvert début 2020 dans le très beau "SOL") aux oiseaux, achèvent de faire de "Ogre" un conte sur la maîtrise de la peur, maniant avec dextérité la suggestion.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur