OCEAN HEAVEN
Infiniment bouleversant
Sur le papier, ce premier film de Xiao Lu Xue s’annonce comme un mélodrame implacable, qui promet de terrasser le spectateur de douleur et de compassion. Pourtant, si tous les ingrédients du mélo sont réunis (le père veuf et mourant qui ne vit que pour son fils, l’enfant malade et innocent dont personne ne veut), le film parvient à éviter le piège de l’œuvre abrutissante. En témoigne la première scène, froide, où le père et son fils rentrent à la maison comme si de rien était après une tentative de noyade manquée. Assumant pleinement sa charge émotionnelle, « Ocean heaven » prouve même que l’on peut raconter une histoire immensément triste sans forcément tomber dans le pathos ou le ridicule.
La première bonne idée du film est de ne pas s’être appesanti sur les dommages collatéraux sociaux de la maladie (la dépendance, l’incapacité à s’intégrer, le regard des autres…) mais d’avoir plutôt abordé celle-ci sous l’angle du pragmatisme : peu importe que le père soit condamné ou que le fils soit un être diminué, c’est de sa survie dont il est question. Cette frontalité, au-delà des ressorts scénaristiques qu’elle offre, fait prendre au film une tournure inattendue, qui frise la quête épique. Xiao Lu Xue filme ainsi sans fioriture une histoire inexorable où l’enjeu prévaut sur les moyens, et où seul compte le résultat.
L’autre bonne idée est d’avoir permis à Jet Li, star mondiale des arts martiaux, de changer de registre et d’endosser le rôle du père. Là aussi, la surprise est au rendez-vous : non seulement Jet Li est crédible en père de famille esseulé, mais de plus il parvient à éviter tous les écueils de son personnage. Il délivre ainsi une interprétation d’une justesse confondante, challengée par la performance tout aussi convaincante de son jeune partenaire.
« Ocean heaven », s’il échappe à la lourdeur du mélo, n’en demeure pas moins un film extrêmement poignant, qui plongera dans l’émoi les âmes même insensibles. La belle musique de Joe Hisaichi vient intensifier par touches le récit. Et si la trame est somme toute assez linéaire, elle est étoffée avec habileté par un lot de détails touchants (le chien en peluche systématiquement posé sur le téléviseur par le fils, puis inlassablement remis à sa place par la père) et de petites scènes poétiques (la nage avec les dauphins, le cirque éphémère sur le toit de l’aquarium) qui, mine de rien, participent de l’évolution dramatique du récit. Même les aspects un peu mièvres du film – le costume de tortue qu’endosse le père pour mettre en scène sa propre réincarnation - deviennent finalement essentiels, offrant à nos yeux embués un final de toute beauté. Un film à voir absolument si l’on n’a pas peur d’être remué.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur