NOUS, LE PEUPLE
Un projet « fou » qui ne devrait pas l’être
En 2018, le gouvernement lance le projet parlementaire de révision constitutionnelle promise par le président Macron. En parallèle, l’association d’éducation populaire « Les Lucioles du Doc » organise des ateliers de réflexion sur le sujet regroupant : des détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, des lycéens de Sarcelles, et des bénévoles (majoritairement des femmes) d’une association de quartier de Villeneuve-Saint-Georges. Chaque groupe débat puis échange avec les autres par l’intermédiaire de vidéos…
« C’est un peu fou, ce truc de trois groupes qui se voient pas et qui bossent ensemble », s’enthousiasme l’un des animateurs de cette formidable initiative. Et en effet, le projet paraît dingue. A priori, cela peut paraître invraisemblable et vain de proposer à des personnes potentiellement marginalisées (des détenus, des lycéens ou des femmes issues de quartiers défavorisés) de réécrire la Constitution française ! Instinctivement, on peut se dire que c’est un job qui nécessite de hautes qualifications. Et pourtant…
Claudine Borries et Patrice Chagnard présentent alternativement ces trois groupes, au fil d’allers-retours que l’on peut rapidement comparer aux fameuses « navettes » entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Plus les allers-retours s’enchaînent, plus l’on constate que n’importe qui peut s’emparer de la chose politique et qu’il n’est absolument pas nécessaire d’avoir des compétences particulières pour développer des réflexions pertinentes. On est fasciné par la capacité des participant-e-s à transcender les diversités et à penser aux autres. Comme lorsqu’un prisonnier fait remarquer que les lycéens évoquent les problèmes de relation police/citoyens et pas eux ! Ou quand les participant-e-s répètent leur désir d’en finir avec la mise en avant des différences culturelles pour mieux penser à la France et au bien commun.
Le dispositif, alliant travail de groupe et échanges à distance, favorise l’écoute et la coopération. S’instaure alors un cercle vertueux de la pensée collective, qui devient de plus en plus palpable dans la mise en scène lorsque se multiplient les plans montrant à la fois les membres d’un groupe sur un écran et ceux d’un autre en train de les regarder ou parlant devant les visages projetés derrière ou sur eux. De même, le montage accélère progressivement le rythme des allers-retours.
Mais le documentaire ne se limite pas aux trois microcosmes qu’il met à l’honneur : certaines séquences nous plongent aussi dans les débats de l’Assemblée nationale, à travers des archives ou quelques images inédites. Et là, c’est affligeant : les députés semblent vivre dans une bulle, imperméable au peuple, qui contraste notamment avec l’ouverture d’esprit des détenus. En-dehors de tout esprit partisan, force est de constater que, dans ce qu’ont choisi de nous montrer les réalisateurs, seuls les députés de la France Insoumise réclament la participation du peuple – on voit même Ugo Bernalicis et Danièle Obono aider les participant-e-s des ateliers à obtenir une écoute au sein de l’Assemblée. Pourtant, cette expérience citoyenne devrait être une grande leçon d’humilité pour les élus, car les capacités de réflexion et d’altruisme sont immenses – et ne sont donc pas l’apanage des députés ! Même si le langage est parfois fleuri ou imparfait, l’intelligence est bien là. Ces femmes et ces hommes montrent à quel point tout le monde peut participer à la vie politique et citoyenne. Si les moyens sont offerts, n’importe qui peut porter une voix forte de sens et d’idées pertinentes. On se prend à rêver d’appliquer cela à plus grande échelle (allers-retours élus/citoyens) pour produire de beaux résultats !
Au final, "Nous, le peuple" s’inscrit pleinement dans son époque, celle d’une volonté populaire croissante de reprendre la main. A ce titre, il fait écho autant à "J’veux du soleil" qu’au film de Pierre Schoeller "Un Peuple et son roi". Les trois ont en commun de rappeler que le peuple réclame plus de souveraineté et qu’il est peut-être sage de l’écouter un peu. Enfin, d’une certaine manière, ce documentaire rejoint aussi "À voix haute" dans sa façon de mettre la parole à l’honneur et d’en faire une arme citoyenne.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur