NOME
Plongée poétique au cœur de la guerre
Alors que la Guinée-Bissau est en pleine guerre contre l’armée coloniale portugaise, Nome décide de rejoindre lui aussi les troupes pour l’indépendance. Mais le conflit va profondément le marquer, et son retour ne sera pas celui auquel il s’attendait…
Un enfant qui nous fixe. Des vautours qui lui tournent autour. À ses pieds, un corps, le cadavre de son père. Un village plongé dans le silence. À l’image de cette introduction, "Nome" est une œuvre qui mêlera durant près de deux heures l’élégance plastique et onirique à une réalité cruelle, celle d’une guerre qui s’enlise sans que la probabilité d’une issue n’augmente. Nous sommes en 1969, et le conflit qui oppose les guérilleros du Parti Africain pour l’Indépendance de la guinée et du Cap Vert aux troupes coloniales portugaises sévit depuis six ans.
Le jeune homme qui donne son nom au titre vit dans un petit village, avec sa mère qui ne cesse de lui rappeler sa fainéantise. Alors un jour, il va lui aussi rejoindre les forces indépendantistes. Non pas par conviction, mais par lâcheté, ayant mis enceinte une femme du village envers laquelle il ne veut assumer aucune responsabilité. À quelques kilomètres de sa hutte, il va découvrir un autre monde, des individus comme lui, perdus au nom d’un combat dont ils ne comprennent pas tous les tenants et aboutissants. Qu’importe, une chose est certaine : la Guinée-Bissau mérite sa liberté. D’ailleurs, le prénom du protagoniste désigne un homonyme, l’idée qu’il porte tous les prénoms à la fois, symbolique pour insister sur le fait que cette bataille était celle de tous, peu importe leurs origines et aspirations.
Dans un mélange pas toujours maîtrisé de temporalités, le film vivote entre la fantasmagorie appuyée et une réalité plus brutale, fidèle à l’âpreté de la zone de front, jusqu’à s’incarner sous la forme d’archives. Si l’exercice de style n’est pas pleinement réussi, le métrage a le mérite d’oser des narrations esthétisées, flirtant avec le fantastique, tout en questionnant le statut de ces guerriers. Héros d’une époque, certains n’ont pas eu un comportement exemplaire à leur retour, sombrant dans la corruption et les petites combines pour avoir de l’argent facile.
Ce cynisme, le réalisateur ne l’occulte pas ; au contraire, il offre au dernier tiers de son film une réflexion intéressante sur la difficulté à gérer le jour d’après, à se mobiliser après l’autonomie remportée. « La Guinée est-elle prête pour tant de bonheur » se demande d’ailleurs l’un des personnages du film. Pour son retour à Cannes, trente après "Xime" présenté au Certain Regard, Sana Na N'Hada nous livre une œuvre riche et ambiguë, dont les quelques défauts ne sauraient venir gâcher notre plaisir de cinéphile.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur