NOMADLAND
Une mise en lumière bouleversante des nouveaux nomades américains
Suite à la crise économique, en 2011, après 88 ans d’activité, une mine ferme ses portes, laissant sur le carreau bon nombre d’employés. Fern, sexagénaire, décide alors de prendre la route avec sa camionnette transformée en camping-car de fortune, passant de petit boulot en petit boulot. Et elle n’est pas la seule à adopter ce mode de vie…
Fern a pris la route suite à sa perte d’emploi. Comme des milliers d’Américains, souvent âgés, elle vit dans un véhicule et parcoure les États-Unis, en suivant les opportunités d’emploi et en proie aux problèmes mécaniques comme de santé. Chloé Zao, jusque là auteure de films intimistes centrés sur des communautés minoritaires ("Les chansons que mes frères m’ont apprises", "The Rider") et bientôt aux commandes d’un Marvel ("Les Eternels"), a choisi de suivre ces nouveaux nomades, leur donnant la parole dans un style parfois quasi documentaire (la plupart des figurants sont de vrais nomades…) tout en magnifiant le cadre dans lequel ils évoluent (l’Ouest américain et ses déserts…) par une sublime photographie signée Joshua James Richards.
Elle offre au passage un nouveau rôle immense à Frances McDormand (meilleure actrice aux derniers Oscars, elle qui avait déjà reçu la statuette pour "Fargo"), dont elle capte toute la retenue et les apparents paradoxes, celle-ci affirmant qu’elle n’est pas SDF, et qui s’avère à la fois indépendante et farouche, mais en recherche de contact. Au delà de toute une galerie de portraits, parfois déstabilisants ou touchants, croisés par ce personnage de veuve dont la ville a disparue suite à la fermeture d’une mine, elle esquisse aussi avec intelligence, grâce à ce road trip, les contours d’un système qui se met en place (camps solidaires, débrouille, compagnonnage…). Et elle questionne au final, par usage de contrastes, la difficulté d’une vie sans point d’accroche ni stabilité, dévoilant dans quelques scènes déchirantes les blessures passées de cette femme résolument libre.
Soumise aux aléas mécaniques d’un van qui lui sert de foyer et aux recrutements ponctuels, son personnage s’inscrit dans ce qui devient finalement une sorte de « circuit saisonnier » pour de nombreux compatriotes, devenant une sorte d’héroïne malgré qui tente de conserver avant tout sa dignité face au regard des autres. Alternant moments contemplatifs sublimant les paysages vides d’une Amérique montrée comme exsangue, et dialogues dévoilant peu à peu l’intimité et les craintes d’un personnage à la pudeur confondante, "Nomadland" utilise à bon escient la largeur du Scope, tout comme il expose la fatigue par des gros plans sur des visages usés. Si l’émotion viendra au final du rapport qu’entretient chacun à la famille et aux lieux chargés de souvenir, c’est toute l’aspiration à une certaine forme de sérénité qui se devine aux travers de confessions arrachées et finit par se lire dans les yeux d’un personnage principal aussi fort que fragile. Trois Oscars (meilleur film, réalisatrice et actrice) et un Lion d’or au Festival de Venise fortement mérités.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur