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NIKI

Un film de Céline Sallette

De femme tourmentée à « nana » reconnue

Désormais installée en France avec son mari et sa fille, Niki a du mal à oublier les démons de son passé. Elle qui avait été mannequin avant de s’impliquer dans la vie de famille, va alors se lancer à corps perdu dans l’art. Aussi bien pour expérimenter que pour exorciser ses troubles intérieurs…

Passé par le Certain Regard du dernier Festival de Cannes, "Niki" observe la naissance de deux artistes : celle qui donne son nom au titre, Niki de Saint Phalle, et Céline Sallette (comédienne notamment dans "La French", "L'Apollonide : Souvenirs de la maison close" ou le plus récent "Les Algues vertes") qui signe ici ses débuts à la réalisation. Pour conter le parcours de la plasticienne, la néo-cinéaste a choisi de se focaliser sur dix ans de son existence, période coïncidant avec sa découverte des pratiques sculpturales. Car rien ne prédestinait la jeune Catherine Marie-Agnès Fal de Saint-Phalle à se faire connaître un jour sous le sobriquet de Niki, et à s’imposer comme une des figures de l’art contemporain.

À l’écran, on la découvre d’abord sur le tournage d’une publicité. Il faut dire qu’avant de tâter des ciseaux à graver, la jeune fille était mannequin. Mais à sa réaction lorsqu’une ampoule saute, on se rend vite compte que quelque chose ne semble pas tourner rond. Ce pressentiment est renforcé tout au long des premières minutes, avec cette drôle de manière de demander à son mari de « l’écraser » pour la calmer, avec cette nécessité pour elle de cacher des couteaux sous son lit, avec son incapacité de contenir ses émotions. Inquiet, son mari la fera interner dans un hôpital psychiatrique où, abandonnée à elle-même, elle trouvera par la colle et les peintures un moyen de s’exprimer. Le début de sa nouvelle carrière.

Derrière la caméra, Céline Salette ne joue pas le suspense putassier sur les raisons du traumatisme. Par d’astucieux split screens, elle nous montre la protagoniste associée à son père, responsable de l’irréparable. Tout le film sera alors une plongée dans la psyché de cette femme torturée, hantée par des fantômes qu’il est bien difficile à chasser. S’intéressant à l’humain plus qu’à l’artiste, aucune des œuvres n’étant d’ailleurs montrée à l’écran, le métrage nous invite dans un processus de création où les coups de spatule ont autant pour but de créer que de réparer une âme ô combien fragilisée.

Si certaines scènes sont particulièrement inspirées, comme cette séquence de tirs aux fléchettes sur tableaux, l’ensemble souffre d’un trop plein, d’une hystérie visuelle et scénaristique pas nécessaire. Se cherchant encore comme metteuse en scène, Céline Salette débordée par sa générosité manque souvent de simplicité, se complaisant dans des artifices superflus. Pour autant, "Niki" reste un film à voir, aussi bien pour son sujet et ses thématiques profondes que pour l’immense prestation de Charlotte Le Bon, qui devrait lui ouvrir en grand une nomination aux César. En tout cas, ce serait plus que mérité tant elle irradie l’écran !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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COMMENTAIRES

lebleuducielbleu

vendredi 8 novembre - 10h58

Je viens de voir le film intitulé "Niki", un film qui retrace une période de la vie de l'artiste Niki de St Phalle, au moment ou celle-ci arrive à Paris.
Le fait que la réalisatrice n'ait pas eu le droit de filmer les œuvres de Niki de St Phalle, l'a conduite à faire le choix radical de ne mettre en scène que la personne, le personnage Niki, joué par Charlotte Le Bon qui, du coup, doit manifester à elle-seule dans son jeu d'actrice, toutes les intensités des colères, toute l'énergie dépensée par Niki, sans que le spectateur puisse en mesurer les effets sur les œuvres produites. Mais ce n'était peut-être pas le propos de Céline Salette qui voulait manifestement se concentrer sur les obstacles existentiels rencontrés par l'artiste avant qu'elle ne soit reconnue. La scène qui représente le mieux, qui cristallise les outrages que l'artiste a subis est celle qui montre le psychiatre de la clinique où elle est enfermée, brûlant la lettre du père de Niki. Cette lettre était un aveu : en voulant demander pardon à sa fille, il révélait qu'il s'était livré à un inceste. De la part du psychiatre, la suppression de cette lettre, seul objet concret sur lequel Niki pouvait s'appuyer pour être écoutée et envisager éventuellement une reconstruction, est la manifestation par excellence de l'ordre machiste : le psychiatre ne veut pas se charger de considérations familiales qui remettraient en question l'autorité patriarcale et qui viendraient également troubler son travail confiné dans l'asile. En supprimant cette lettre, il couvre un criminel et il est assuré de laisser "sa patiente" entièrement démunie et sans défense. On comprend ici, les réactions de Niki, sa colère, ses cris, ses larmes. Mais il me semble que cette scène perd de sa puissance parce qu'elle est noyée dans un flux continuel de comportements, d'emportements identiques de l'actrice, aussi bien lors de sa rupture avec un amant ou après la visite d'un galeriste qui n'a pas apprécié son travail. Je ne sais pas si la réalisatrice s'est rendu compte qu'elle a dressé un portrait de femme qui est un cliché contre lequel les féministes ne cessent de lutter : la femme hyper-sensible, la femme qui pleure, la femme qui crie et qui se décide sur des coups de têtes. Aucune scène ne montre Niki réfléchissant, pensant, s'interrogeant. Seule la scène du jeu de fléchettes avec les deux jeunes frères nous la montre saisie, comprenant qu'elle venait d'assister à une représentation symbolique de "la mort du père". J'ai l'impression que la réalisatrice s'est laissée entraîner par les talents de son actrice, tous les actes de création sont dramatisés comme si l'art ne pouvait avoir qu'une fonction cathartique.
La dernière scène nous montre Niki en public, tirant sur des ballons accrochés sur un panneau et remplis de peinture. Nous ne voyons pas le résultat mais la caméra filme l'envol des pigeons au moment de la détonation. On peut espérer que la frustration causée par l'interdiction de représenter les œuvres de l'artiste donnera aux spectateurs l'envie de voir ou de revoir ses œuvres, en vrai, à l'air libre.

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