NIGHT FARE
Fallait payer la course !
La nouvelle réalisation de Julien Seri ("Les Fils du vent", "Scorpion") était attendue au tournant depuis un petit moment. Financée en dehors des systèmes de production classiques, en partie grâce à une campagne crowdfunding auprès de différents fans, "Night Fare" n’aura même pas eu droit à une belle vie en salles, sacrifié sur l’autel d’une sortie technique avec un nombre de copies pour le moins honteux (à peine 32 salles !). Le rattraper avec du retard permet vraiment de prendre le pouls d’une série B tendue et réellement maîtrisée, mais qui ne manquera pas de dérouter – voire de déranger – une large partie de son audience.
La trame a beau rappeler le "Duel" de Steven Spielberg en lançant un taxi très menaçant à la poursuite de deux parisiens quelconques, il vaut mieux ne pas trop s’y fier. Pendant une bonne heure, Seri donne clairement l’impression d’avoir signé son meilleur film : d’une multitude de plans iconiques qui réussissent à conférer un vrai impact visuel au fameux « Driver » jusqu’à une mise en scène d’une fluidité à toute épreuve, le film a de quoi impressionner la rétine. Idem du côté de la bande originale, surchargée de superbes compositions électroniques que l’on doit à Alex Cortès. "Night Fare" s’inscrit pleinement dans un cinéma d’exploitation à la fois simple et riche en adrénaline, ce que ses quelques petits reproches tendent aussi à illustrer. Si quelques ralentis font pièce ajoutée sur la chose, on peut en revanche sourire de certaines invraisemblances, en particulier le coup du Driver qui réapparait toujours face à nos deux héros (y compris quand ils viennent de s’enfuir dans la direction opposée !). Mais cela participe au plaisir du film, à son efficacité décomplexée, le tout dans un Paris nocturne et désert qui acquiert ici le relief d’un territoire carpenterien.
Reste que le scénario ne dévoile qu’a posteriori son véritable propos, permettant ainsi de justifier ces inserts récurrents sur des flammes – que l’on imaginait à tort inutiles dans le montage. C’est en effet au cours de la dernière demi-heure que la situation s’inverse : une fois le sombre passé des deux personnages révélé, "Night Fare" entame une soudaine bascule de point de vue, inversant notre (re)lecture des événements en stigmatisant la bêtise des soi-disant « héros » et en faisant ainsi du Driver l’épicentre du récit. On ne dira pas de quoi il en retourne exactement, mais si l’idée d’offrir une connotation mythologique à ce vrai-faux boogeyman s’avère des plus intéressantes, le regard moral que Seri semble y avoir intégré par-dessus – qui plus est avec un clip animé bien lourdingue et didactique pour faire passer la pilule – apparait déplacé, pour ne pas dire nauséabond. Par prudence, on conseillera donc aux avertis de prendre "Night Fare" pour ce qu’elle est avant tout : une pure série B, extrêmement efficace, intégrée dans un genre qu’elle respecte et honore avec brio.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur