NEVER LET ME GO
Les clones rêvent-ils d'une vie électrique ?
Un étrange cas que ce Mark Romanek. Clippeur surdoué (pour Ninch Inch Nails, Madonna ou même Michael Jackson – « Scream » en 1995), ce natif de Chicago n’aura réalisé que trois longs-métrages en 25 ans de carrière, préférant mettre son sens de l’image et du rythme au service des musiciens, plutôt que des scénaristes ou producteurs hollywoodiens. "Static" racontait, en 1985, la prise d’otage d’un fabricant de crucifix persuadé de détenir la clé du paradis. Un film étrange aux images fabuleuses, qui restera sans suite jusqu’au début des années 2000, lorsque Romanek embarque Robin Williams dans le très inquiétant "Photo Obsession", thriller obsédant à la force narrative peu commune. Un temps intéressé par "Wolfman", Romanek revient aujourd’hui avec une autre œuvre intimiste et étrange, "Never Let Me Go".
Un drame d’anticipation écrit en anglais par un japonais, brassant les thèmes divergeants de l’éthique du clonage et des valeurs de la société anglaise, et adapté par un brillant formaliste américain, voilà ce qu’est "Never Let Me Go". Du roman de Kazuo Ishiguro, Romanek ne conserve que le contexte et les personnages, laissant la question du clonage (ici juste suggéré par certains dialogues) dans l’ombre, pour mieux s’atteler à une très mortifère réflexion sur le sens de nos vies modernes, sur la nécessité de croire en soi, sur le besoin d’amour inhérent à toute vie sociale, et, in fine, sur l’importance du libre arbitre.
Car les « héros » de ce film pudique sont des morts en sursis, réservoirs à organes à qui l’on propose un simulacre de vie, d’autant plus cruel qu’il se déroule au sein de notre société. Des thèmes proches du "The Island" de Michael Bay, sauf que Romanek remplace les motos volantes explosant dans le décor et les fesses de Scarlett Johansson en gros plan, par une direction d’acteurs toute en finesse (magnifique Carey Mulligan…) et un travail plastique privilégiant les silences et la belle image au spectaculaire et au bourratif. L’intention est bonne, certes, mais c’est là que le bas blesse.
À refuser de prendre son sujet à bras le corps, à tant insister sur la souffrance et la solitude infinie de ses personnages en quête d’existence, Romanek conduit son film vers une froideur inattendue, là où l’émotion aurait dû l’emporter (comme l’avait si bien fait le cinéaste avec le bouleversant clip de « Hurt » pour Johnny Cash). D’une tristesse incommensurable, "Never Let Me Go" ne laisse aucun répit au spectateur, embarqué dans une odyssée funeste aux côtés de simili-humains voués à la déchéance physique et morale, contemplant bien malgré lui l’inévitable déroulement d’une vie faussée dès la « naissance ». En accentuant les aspects les plus science-fictionnels de son récit, Romanek aurait sûrement permis de goûter pleinement ce beau mais terrifiant (car irrémédiablement triste – on y revient…) voyage au bout de la nuit. En ça, on est en droit de préférer la pyrotechnie infantile et la simplicité hollywoodienne du film de Michael Bay. À tenter, si vous l’osez…
Frederic WullschlegerEnvoyer un message au rédacteur