NE COUPEZ PAS !
La fausse bonne idée par excellence
Le tournage d’un petit film d’horreur à base de morts-vivants monopolise une petite équipe dans une usine désaffectée. Des techniciens trop blasés et des acteurs qui jouent mal rendent la tâche difficile au réalisateur, qui peine à insuffler l’énergie nécessaire à un tel film. Soudain, pendant la préparation d’un plan ingrat, d’authentiques morts-vivants s’introduisent sur le plateau de tournage… A moins que…
Avant tout, une précision importante : vu que ce petit film fonctionne sur une astuce narrative toujours plus efficace si l’on reste vierge de toute information en entrant dans la salle de cinéma, on prend soin de vous alerter que cette critique va devoir rentrer un peu dans le détail du scénario (en gros, ça va un peu spoiler par-ci par-là)… Il convient de préciser que la simple façon dont ce film a été fabriqué nous renvoie immédiatement à d’autres cinéastes alors en herbe et à une caractéristique ancrée dans la culture et la pratique du cinéma de genre. Quelle est-elle ? Une équipe de jeunes passionnés débutants qui, animés par une passion commune, une longue liste d’idées et une folle envie de créer en s’amusant, donne naissance à de jouissives péloches horrifiques à teneur potache, certes un peu branques sur les bords et souvent pas du tout maîtrisées d’un point de vue technique, mais dans lesquelles une sincérité créative se met en place, signant de ce fait la naissance d’un style et d’un metteur en scène. Comme exemples de cette glorieuse liste, citons "Evil Dead" de Sam Raimi ou "Bad Taste" de Peter Jackson. Le premier film de Shin’ichiro Ueda semble d’autant plus se rattacher à cette sensibilité qu’il s’agit en réalité d’un petit film de potes, tourné pour <i>peanuts</i> et destiné initialement à une carrière éclair, mais qui se retrouvera intronisé film culte suite à un bouche-à-oreille de plus en plus fort. Très bien, mais encore ?
La caractéristique tient ici dans un effet de quadruple mise en abyme, et ce en deux étapes précises. D’abord, on suit un film de zombies qui révèle tout à coup son envers du décor – il s’agit d’un film sur le tournage d’un film de zombies – avant de finalement devenir un vrai film de zombies en raison de l’apparition de vrais morts-vivants. Une fois le générique de fin envoyé au bout d’une demi-heure de plan-séquence ininterrompu (d’où le titre), le vrai film démarre : retour un mois plus tôt, avant le tournage de ce film, pour suivre les préparatifs de l’équipe et le tournage du film en lui-même, gavé d’imprévus rigolos et de catastrophes en tout genre. On devine bien l’ambition du réalisateur : rendre un hommage sincère à l’artisanat et l’amateurisme de ceux qui font du cinéma avec trois fois rien, doublé d’une analyse décontractée de l’image en tant que puits de sens cachés et d’improvisations parfois lancées en roue libre. Dans cette phrase-là, c’est en fait le mot « sincère » qui pose problème. Pour qu’un tel effet de décalage surgisse avec brio en vue de créer l’émotion et le fou rire, il aurait sans doute fallu que le film de zombies dévoilé au début fasse preuve d’un certain sens de la mise en scène, capable de transcender les limites du système D. Mais à l’écran, c’est exactement l’inverse : les ficelles de la fabrication de ce « film de zombies » sont si molles et grossières qu’elles fichent en l’air tout décalage, et tout ce qui passe pour une énormité de mise en scène, voit sa vérité pré-visualisée en amont, rendant ainsi la partie « tournage » consternante à souhait.
Pour clarifier un peu les choses, imaginez que vous regardez un film où l’on bavarde beaucoup sans faire avancer l’intrigue (est-ce de l’improvisation ?), où les acteurs semblent parfois regarder ailleurs (écoutent-ils les indications du réalisateur ?) et où la caméra gigote dans tous les sens (le caméraman est-il bourré ?). En gros, vous regardez un mauvais film où toutes les « gaffes » sont tangibles. Et quand on vous révèle – making-of à l’appui – que les parenthèses ci-dessus sont vraies, l’effet est terrible : le nanar ridicule et sincère que l’on aurait aimé visionner (et dont on aurait aimé voir l’envers du décor afin de ressentir un vrai décalage entre l’effet et les faits) n’est en fait que du sous-Uwe Boll – période "Postal" ou "House of the Dead" – entériné juste après en navet par un making-of qui enfonce des portes ouvertes avec un sourire de crâneur. Un peu comme si le réalisateur de "Ne coupez pas" avait voulu se la jouer Michel Gondry ou Quentin Dupieux dans sa dichotomie réalité/fiction, mais s’était finalement vautré dans un cynisme faussement malin à la Wes Craven, encombrant son récit de personnages antipathiques et stéréotypés au possible – le réalisateur stressé, l’épouse frustrée, la star capricieuse, la jeune actrice débutante, le chef opérateur déglingué, l’assistant du son atteint d’une vilaine diarrhée, la productrice trop préoccupée par son smartphone, etc.
Bombardé d’un humour de gamin de maternelle où les pets violents se mêlent à des gamelles sur le sol digne d’un épisode de "Benny Hill", ce premier film moins malin que fait par un petit qui se croit malin n’est finalement rien d’autre qu’une petite série Z inoffensive, ni drôle ni ludique ni réellement divertissante, que seul un degré très élevé de tolérance à la laideur esthétique la plus repoussante peut éventuellement faire passer pour un plaisir coupable. Pour le reste, même si l’on pressent déjà que le film va s’offrir un statut culte immérité au moment de sa sortie et qu’un remake américain ne tardera sans doute pas à être lancé dans les années à venir, on préfère considérer que rester à l’état de petite bande vidéo à se repasser entre ceux qui l’ont créée aurait été son meilleur destin. Désolé, mais sur un écran de cinéma, ce n’est juste pas possible.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur