NAPALM
Inflammable
En visite en Corée du Nord depuis sa précédente excursion il y a cinquante ans, le cinéaste Claude Lanzmann découvre les transformations récentes de la ville de Pyongyang, et se souvient de sa rencontre en 1958 avec une infirmière de l’hôpital de la Croix-Rouge coréenne…
Il y aura fort à parier que même les admirateurs du travail mémoriel de Claude Lanzmann auront du mal à supporter sa nouvelle proposition de « cinéma ». Et si l’on prend soin d’utiliser les guillemets pour évoquer notre art préféré, c’est bel et bien parce que le cinéma n’a jamais lieu d’être chez un artiste comme Lanzmann. On avait beau lui reconnaître une portée mémorielle infinie (déjà mise en application dans "Shoah" ou "Le Dernier des injustes"), il semble de plus en plus certain que ses films ne sont en aucun cas conçus pour le grand écran – les visionner sur un écran d’iPhone produirait pile poil le même effet. Ainsi, limiter le concept de « mise en scène » à de longues et interminables interviews qui éjectent les notions de cadrage et de scénographie, y compris dans un genre aussi pointu et radical que le documentaire (où la mise en scène a toujours son mot à dire), cela revient à foncer tout droit au casse-pipe. Dans le cas de "Napalm", Lanzmann a beau avoir fait de jolis progrès sur la durée (on est passé de 4 heures à 1h40… ouf !), la pauvreté totale de sa réalisation nous donne envie de tomber dans les bras de Morphée au bout d’un quart d’heure. Et encore, le plus gênant est à venir…
Comme cela était indiqué depuis sa présentation à Cannes, Lanzmann a ici laissé tomber ses sujets sur Israël et la Shoah pour au contraire s’intéresser à la Corée du Nord, un pays qu’il aura visité en 1958 et dans lequel il revient en 2015. Ce détail ordonne ici une narration extrêmement convenue, pour ne pas dire franchement lâche : une première moitié sous forme d’un carnet de voyage en 2015 (en réalité une poignée de clichés touristiques où Lanzmann multiplie les compliments sur la patrie de Kim Jong-un), et une seconde moitié sous forme d’une longue confession intime face caméra (où le cinéaste raconte son coup de foudre pour une infirmière nord-coréenne durant sa visite en 1958). La gêne s’installe très vite dans la mesure où la première partie ne dit rien de précis sur la Corée du Nord en tant que dictature (tout juste a-t-on droit à quelques commentaires subjectifs sur la population de Pyongyang), où Lanzmann se contente de visiter trois ou quatre lieux (une place, un musée et un pont) sans souci d’englober quoi que ce soit, et où son regard politique se voit mis à contribution. Ce dernier détail devrait forcément nous paraître salutaire quand on connait le bonhomme, mais c’est finalement lui qui va faire tout s’effondrer.
Plus clairement, entendre le réalisateur de "Shoah" évoquer son attachement communiste pour justifier sa sympathie envers la Corée du Nord (on rappelle quand même que ce régime dictatorial pratique toujours les purges et les déportations en camp de travail) est assez effarant. D’autant que la façon ultra-complaisante dont il se met en valeur lors de sa visite ou de sa confession apparaît plus que déplacée. En résumé, pour le regard critique – et surtout éthique ! – sur une dictature toujours intacte, on n’a pas frappé à la bonne porte. Il n’y a donc que cette longue confession intime face caméra qui aurait pu servir ici de consolation, hélas bien mince au regard de l’absence totale de point de vue de mise en scène. On a surtout l’impression d’entendre un vieux papy mollasson qui ressasse des sentiments amoureux vieux d’un demi-siècle en oubliant de mettre quoi que ce soit en perspective vis-à-vis de la situation actuelle. À une époque où un psychopathe en uniforme menace de faire sauter la planète avec ses missiles nucléaires, on aurait presque envie de dire que les romances rocambolesques de Claude Lanzmann il y a une cinquantaine d’années représentent le cadet de nos soucis.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur