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LA MORT DE LOUIS XIV

Un film de Albert Serra

L’agonie d’un roi… ou d’un acteur ?

Août 1715. Le roi Louis XIV tombe malade au retour d’une promenade : une vive douleur à la jambe évolue progressivement en fièvre puis en gangrène. Ses nuits deviennent si agitées et son alimentation si limitée qu’il lui devient impossible d’assurer ses obligations. La mort est à ses portes, il lui faut désormais l’accueillir…

Au vu de l’hallucinante ovation critique qui aura entouré la réception cannoise du nouveau film d’Albert Serra, la découverte du film nous laisse avec une horrible pensée au fond de la tête, hélas vite indissociable du film en question : une telle émotion viendrait-elle du fait que la critique aurait moins vu l’agonie du Roi Soleil que celle de Jean-Pierre Léaud lui-même ? On peut s’interroger là-dessus. D'abord à la vision d’un acteur profondément surestimé qui aura toujours fait le maximum – y compris à ses débuts – pour ne pas jouer, quitte à en faire des caisses pour feindre l’audace de celui qui s’emporte dans les sentiments. Puis en raison de la sacralisation qu’une poignée de critiques obsédés par la modernité (désormais éteinte) de la Nouvelle Vague n'ont de cesse de lui accorder d’un film à l’autre. Or, depuis une bonne quinzaine d’années, c’est peu dire que chaque apparition de Léaud au cinéma donnait surtout l’impression de le voir agoniser à répétition, un peu à la manière d’un vieux sénile un peu toqué sur les bords qui embrasserait le déni d’actorat avec un vrai je-m’en-foutisme. Consécration pour les uns, consolation pour les autres, cette Palme d’honneur que l’acteur aura reçu en mai dernier a désormais une odeur de chrysanthème.

Quand on sait à quel point Albert Serra raffole de la durée réelle au service d’un néant artistique total et d’un sens aigu de la pose vaine et prétentieuse (ceux qui se souviennent encore du "Chant des oiseaux", suivez mon regard…), "La mort de Louis XIV" ne surprend guère. L’interminable agonie en huis-clos à laquelle se résume le film est donc autant celle de son acteur principal (rester figé sur un lit avec zéro expression faciale, on appelle ça une « immense prestation » ???) que celle du système Serra, ici entièrement acquis à une sorte d’oraison funèbre à teneur méta-textuelle, qui confond le langage d’un tableau du XVème siècle (image au singulier et en immobilité) avec celui de cinéma (image au pluriel et en mouvement). Étonnant de voir encore des cinéastes persister à vouloir coller l’un sur l’autre sans connaissance préalable de la spécificité de leurs langages réciproques, alors que la fusion des deux, pourtant active chez de nombreux cinéastes contemporains (notons Hou Hsiao-hsien avec "The Assassin", pour prendre un exemple récent), est à même de laisser la fulgurance saisir le spectateur au lieu de le bannir.

Sur pas moins de deux heures riches en bâillements répétés, chaque geste, chaque action, pour ne pas dire chaque intention de montage, voit sa durée multipliée par dix sans aucune justification, d’une élégante salutation à un simple mâchage de nourriture (à noter que les deux sont toujours suivis d’applaudissements). L’objet de fascination, ici, c’est donc Le Roi Léaud, sorte de nature morte mythifiée sous une choucroute hilarante, au sein d’une chambre royale où la lumière est constamment tamisée et les tissus bien mis en valeur. Tout est dans l’enjolivure en clair-obscur, dans la mort qui gagne du terrain, dans la solennité forcée et teintée d’une suffisance exaspérante. On aura beau trouver la lumière très jolie, ce n’est pas une excuse : une salle de cinéma n’est pas un couloir de musée, et passer deux heures dans un monument aux morts relève du masochisme pur et simple.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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