MOON, 66 QUESTIONS
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Artemis prend l’avion pour revenir chez son père, Paris, partiellement paralysé suite à une sorte d’infarctus. Le contact avec lui n’est pas aisé, étant donné qu’ils ne se sont pas réellement parlés depuis longtemps, mais elle va tout de même l’aider dans sa rééducation, en attendant de trouver une aide à domicile…
Après cinq courts-métrages ayant fait la tournée des festivals, Jacqueline Lentzou réalise son premier long, une œuvre à la fois sensible et faussement austère. Car derrière ce portrait d’une jeune femme de retour chez son père, se cache un parcours intime, celui qui permet d’apprendre à connaître, qui consiste à se mettre à la place de l’autre. Chapitré, à la manière de marques du destin, par des plans fixes sur des cartes de tarot (le monde, le magicien…), le film déroule une intrigue qui mêle quelques souvenirs de cette fille unique, parfois rejoués par elle-même, et efforts de l’un comme de l’autre pour se sortir d’une impasse : redevenir autonome pour l’un, retrouver sa place pour l’autre.
Des moments simples deviennent alors clés, d’une cigarette qu’Artemis (Sofia Kokkali, parfaite en observatrice résolue à avancer) allume en tremblant comme le ferait son père, peu maître de ses mouvements, à une scène de restaurant tout juste bouleversante, en passant par une manœuvre de voiture dans un garage, des plus symboliques. Comme dans la vie, sans que les extérieurs (ici la tante, la mère, et même le spectateur) ne s’en aperçoivent, la complicité se (re)construit progressivement, le scénario introduisant des auditions ironiques d’aides à domicile (une bulgare qui ne parle pas - comme le père -, une autre pas plus engageante…) qui mettent en évidence l’objectif ingrat de l’oncle et la tante, mais aussi quelques moments plus léger, ainsi qu’une découverte inattendue mais cruciale.
Sensible et touchant, "Moon, 66 questions" radiographie une relation père fille autrefois égarée, pour, en n’évoquant que des bribes du passé (une engueulade avec la mère, quelques photos retrouvées...), mieux la reconstruire, en opposition aux extérieurs. Jacqueline Lentzou prend son temps pour nous amener à sa conclusion, filme ses protagonistes dans la proximité physique, montrant au passage que l’absence de mots, n’empêche nullement la compréhension. Un sérieux candidat pour le Prix de la section Encounters du Festival de Berlin, autant par la forme que par la puissance d’un récit aussi simple qu’humain.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur