MON PÈRE EN GRAND
Mon père, ce héros
Il y a fort à parier que les non-habitués (ou les non-réceptifs) au home-movie vont sans doute avoir énormément de mal à rentrer dans le concept de ce premier film de Mathias Renou, surtout pour ceux qui – à l’instar de l’auteur de cette critique – axent l’analyse d’un film sur la mise en place du découpage, le travail élémentaire sur l’image, la prédominance de la mise en scène et l’usage du symbolique comme vecteur de sens. Le home-movie a cela de délicat qu’il tend souvent à reléguer ces éléments au placard, que ce soit par manque de moyens (ce qui semble être le cas ici) ou par incapacité à appréhender les fondements du langage cinématographique. Il n’empêche que, quoi que l’on puisse penser du résultat, la démarche embrassée par ce jeune réalisateur d’une vingtaine d’années force clairement le respect : avec une caméra de reportage, une poignée de comédiens (dont la trop discrète Marie Rivière) et une enveloppe riquiqui de cinquante euros (soit même pas le budget café-croissants d’un reportage de France 3 Limousin !), Renou filme son propre père (Serge Renou) dans un curieux mélange où la réalité bidonnée et la fiction fantasmée se déguisent pour mieux se confondre.
Une idée intéressante prend racine dès le début du film : Renou installe immédiatement deux échelles de récit (l’une correspondant à la diégèse du sujet, l’autre représentant la mimésis du sujet) où la mère est jouée par deux actrices différentes (Marie Rivière dans l’une, Alix Schmidt dans l’autre). Ce principe assez inhabituel laisse déjà planer un doute croissant sur la réalité de ce que l’on voit, brouillant ainsi la dichotomie réalité/fiction en laissant croire à une projection fantasmatique de la part de Mathias Renou. Tout ceci dans un scénario où l’on ne sait plus trop si l’objectif est de rendre hommage à la figure paternelle ou de « tuer » symboliquement le père (au vu de la fin du film, le doute reste entier). Il semble évident que c’était justement l’intention de départ.
Pour autant, à force de brouiller les pistes, le résultat en arrive à se brouiller lui-même dans sa construction : on considérera que les allers-retours trop aléatoires sur la mère jouée par Marie Rivière contribuent plus à trouer le récit central qu’à le solidifier. Sans parler d’un final pour le coup crispant, qui plaque un lyrisme fake sur fond de la superbe bande originale de "Collision" (composée par Mark Isham), et ce avant de nous ressasser une célèbre théorie de Jean-Luc Godard (vous savez, le cinéma comme étant « vingt-quatre mensonges par seconde »…) qui fait vraiment « pièce ajoutée » dans le montage (on percevait déjà suffisamment cette sensation de « bidonnage » dans le récit pour ne pas avoir besoin d’entendre cette phrase). Au final, on préférera voir ce premier film comme un essai sincère à défaut d’être vraiment abouti, mais dont la singularité ne laissera personne indifférent.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur