Festival Que du feu 2024 encart

MISS HOKUSAI

Un film de Keiichi Hara

Portrait de femme, mais pas seulement…

En 1814, dans la ville d’Edo (ancien nom de Tokyo), le peintre Hokusai, auto-surnommé « le fou du dessin », est reconnu comme l’un des artistes les plus reconnus du Japon, inspirant autant le respect que l’admiration de ses semblables. Sa fille O-Ei réside avec lui dans un petit atelier mal rangé et perpétue, elle aussi, la tradition de la peinture. Mais là où son père persiste dans sa misanthropie et son isolation vis-à-vis du monde extérieur, elle reste au contraire éperdue de liberté et d’indépendance…

Keiichi Hara est un cinéaste trop atypique dans le cinéma d’animation japonais pour qu’on puisse avoir envie de le hiérarchiser. Peu de ses confrères ont su dévoiler autant que lui une capacité à dévier sans cesse d’une ligne thématique tracée d’avance ou à explorer des thèmes adultes – pour ne pas dire sombres – afin de mieux en sublimer l’antithèse. Ainsi avait-on pu se faire une idée du bonhomme avec "Un été avec Coo", jolie chronique multifonctions dissimulée sous un concept de fable à la "Ponyo", et encore plus avec le bouleversant "Colorful", qui prenait soin de brasser l’éventail des thèmes les plus durs reliés à l’adolescence (suicide, dépression, violence, prostitution, etc.) pour au final en extraire une déchirante ode à la vie. Le voir s’attaquer à la vie méconnue de la fille d’un des plus célèbres peintres japonais avait de quoi intriguer, surtout au vu des premiers extraits prometteurs et de l’immense enthousiasme suscité par le film au dernier festival d’Annecy. Oui, mais voilà…

Du très célèbre Hokusai, on connaît un grand nombre de peintures, la plus célèbre étant sans aucun doute le fameux La grande vague de Kanagawa qui sera d’ailleurs exploitée dans le film au détour d’une scène d’une beauté tout bonnement majestueuse. Dès les premiers plans, son talent est résumé à un paradoxe massif : savoir peindre un portrait sur la surface de 120 tatamis collés les uns aux autres tout en étant capable de dessiner des oiseaux sur un petit grain de riz ! Une audace que sa propre fille, elle aussi peintre, n’a pas encore tutoyée, et pour cause : là où son père ne vit que pour improviser, O-Ei en est réduite à honorer les commandes de peintures à sa place. Il y avait là un vrai et grand sujet : rapprocher deux oppositions (professeur/élève et père/fille) sous un angle à la fois social et familial, dans un contexte nippon sévère – on est en pleine dictature impériale – que l’on imagine fermement attaché au respect des traditions. Le souci, c’est qu’au final, on n’est même pas certain qu’il s’agisse du sujet du film…

On avouera qu’en sortant de la projection, il est assez difficile de définir clairement de quoi parle "Miss Hokusaï". S’agit-il du tableau d’une relation filiale abordée sous l’angle d’un travail artistique collectif, d’un pur biopic sur l’entourage secret d’un artiste célébré, d’un film choral éclaté qui poserait un regard varié sur le Japon du XIXe siècle, d’un portrait de femme émancipée à la Jane Campion, ou tout simplement d’un hommage sincère à la magie insoupçonnée de l’art pictural ? On ne demandait évidemment pas à Hara d’isoler une hypothèse au détriment des autres, mais idéalement de les laisser s’infuser au sein d’une structure narrative fluide et épanouie. C’est pourtant là que le film révèle ses limites : le scénario saute d’un thème à l’autre, d’une idée à l’autre, d’un personnage à un autre, laissant parfois son superbe personnage féminin à l’état de satellite dont on ne perçoit pas très bien l’évolution au fil du récit. Le film se la joue même parfois Ozu du pauvre, en s’attachant à l’entourage assez bigarré de Hokusai, en particulier quelques élèves très portés sur l’alcool, un certain nombre de geishas qui servent à l’occasion de modèles et une petite fille mélancolique dans laquelle O-Ei tend à se projeter.

Là où Hara marque en revanche de sérieux points et contrebalance aisément le sentiment d’éparpillement que peut susciter la narration, c’est lorsqu’il sublime la beauté déjà fracassante de son animation – et je pèse mes mots ! – en établissant un écho avec la magie qui peut souvent se dégager d’une peinture (et comme le film lui-même est une suite d’images en mouvement…). Une scène en particulier retient notre attention : O-Ei livre à un client une peinture de sa composition – mais signée de son père – évoquant un pandémonium de visions infernales, et voilà que l’épouse du client, dans un état évoquant presque le syndrome de Stendhal, se retrouve prise d’hallucinations, comme si la toile était en train de l’assaillir. Belle image que voilà : une peinture, qu’elle soit fixe ou en mouvement, est comme un organisme vivant, qui nécessite d’être « complété » afin de ne pas créer de rupture maladive dans le monde réel (ici, O-Ei n’avait pas « fini » sa peinture). Le film, lui, est un peu pareil : il est sans cesse complété, riche de multiples contrastes et enrichi par de nouveaux niveaux de lecture qui lui évitent ainsi toute crainte de formatage. C’est sa force. C’est hélas aussi sa limite, faute d’une narration mieux structurée.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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