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MISÉRICORDE

Un film de Alain Guiraudie

Celui qui sème la discorde

Jeremy, qui habite désormais Toulouse, retourne dans son village de Saint Martial pour l’enterrement du boulanger, son ancien patron. Il retrouve sa veuve Martine et son fils Vincent, avec lequel il était ami. Rapidement il passe voir Walter dans sa ferme, autre ami plus âgé, qui l’a toujours attiré. Mais derrière les bagarres pour rire avec Vincent, semble se cacher une forme de jalousie et de tension sexuelle…

L’univers d’Alain Guiraudie l’homosexualité ou la bisexualité de ses héros est une donnée de base, à la fois naturelle dans la manière dont elle s’exprime, et créant souvent un décalage par l’aspect déconcerté des personnages croisés, ou du spectateur lui-même. Un cocktail qui en touchant progressivement dans son œuvre à l’épure, crée toujours une ambiance étrange, dans laquelle il est aisé de se laisser aller. C’est une nouvelle fois ici le cas, avec ce petit village dans lequel les attirances passées ou résurgentes du personnage principal (Jeremy, interprété par Félix Kysyl, vu dans "Des hommes" et "Le Consentement") ne semblent être un secret pour personne, ni pour le fils de boulanger décédé, ni pour l’ami fermier, ni même pour la veuve ou le curé. Sans qu’on en connaisse les détails, Guiraudie évitant tout flash-back, il apparaît rapidement comme évident que le retour du garçon est à même semer la discorde entre ce qui pourrait être une expérience de jeunesse, un ancien flirt inassouvi, et un prêtre assez louche.

Suite à un événement dramatique, c’est bien le prêtre qui s’avérera propre à accorder sa pitié par laquelle on pardonne au coupable (la fameuse « miséricorde » du titre), mais sous une forme de chantage plutôt osé. Et comme chez Guiraudie la comédie n’est jamais loin, ce personnage savoureux vient jouer les trouble-fête dans une intrigue virant au thriller. Apparaissant plusieurs fois soudainement là où on ne l’attend pas (un dispositif de comique de répétition déjà utilisé dans "L’Inconnu du lac", avec le policier qui était derrière chaque fourré d’un lieu de drague en extérieur), le personnage est aussi plein de bonhommie que malsain. Interprété par l’excellent Jacques Develay (déjà prêtre dans la série d'Arte "Ainsi soient-ils") il vole en tous cas progressivement la vedette au héros. La scène de repas où celui-ci dodeline à chaque nouveau mensonge de Jérémy est un véritable délice.

Conte moderne sur un possible « amour sans retour », "Miséricorde", passé par la section Cannes Premières 2024, séduit une nouvelle fois autant par l’absurdité de certaines situations, que par des répliques naturelles qui relèguent les questions morales au vestiaire. Le face à face avec les policiers provoquera de ce point de vue, à coup sûr, l’hilarité. Le film parvient en tous cas à toucher et à convaincre qu’en effet, on a besoin dans la vie « d’accidents », qui lui donnent un certain relief. Peut-être pas réellement de l’ordre de celui qui arrive ici, mais de ceux qui changent la vie, et du point de vue cinématographique, d’œuvres qui osent le politiquement incorrect.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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