LES MISÉRABLES
Laissez notre littérature française tranquille !
Au cœur de la France du 19ème siècle, un souffle de révolte gronde dans les rangs du peuple. Nous allons alors suivre la vie des misérables de Paris, et plus précisément le destin du bagnard Jean Valjean. Ce dernier fait la promesse à Fantine de sauver la petite Cosette de la misère qui l’attend, et les deux protagonistes voient alors leurs vies chamboulées à jamais…
Après le multi-récompensé et oscarisé « Le Discours d’un Roi », Tom Hooper revient derrière la caméra pour s’intéresser une nouvelle fois à l’Histoire, en l’occurrence celle de la France du 19ème siècle. Mais pour compliquer sa tâche, le metteur en scène a décidé de raconter cette période par le prisme de l’un des plus grands romans de notre littérature, « Les Misérables » de Victor Hugo. Les adaptations cinématographiques et télévisuelles de ce chef-d’œuvre sont légions, c’est pourquoi le réalisateur a opté pour un choix détonant : c’est sous forme de comédie musicale que nous redécouvrirons les trajectoires de Jean Valjean, Fantine, Cosette, Marius, Javert ou encore les Thénardiers. La dernière fois qu’Hollywood s’était attaqué à ce mythe, c’était en 1998 avec un schéma proche de cette nouvelle version : un réalisateur européen (le danois Bille August) à la tête d’un casting de stars composé de Liam Neeson, Geoffrey Rush, Claire Danes et Uma Thurman notamment.
Le scénario de cette version 2012 est alors tiré de la version anglaise du spectacle musical des années 1980 écrit par Alain Boublil et initialement mis en scène par Robert Hossein. Au milieu des décors en carton-pâte, le casting quatre étoiles va pousser la chansonnette aussi bien pour les numéros chorégraphiés que pour les dialogues, la quasi-totalité du métrage étant ainsi musicale. Pourtant, de cette véritable performance pour les acteurs, ceux-ci s’épuisant la voix durant des heures sur le tournage, – la prise de son étant faite directement et non synchronisée en post-production –, Tom Hooper ne parvient pas à retenir la quintessence pour dynamiser son projet. « Les Misérables » se contente alors d’être une simple succession de numéros chantés et chorégraphiés, souvent en plans serrés, et dans une mise en scène théâtrale qui finit par agacer. Le problème n’est donc pas les capacités musicales des comédiens mais bien l’utilisation qui en est faite par Tom Hooper, d’autant plus que l’excentricité qu’il revendique n’est pas toujours du meilleur goût. En effet, le kitsch outrancier des décors finit par agresser quelque peu le spectateur, la dimension baroque du propos n’étant pas entièrement maîtrisée par le réalisateur.
Les débuts du long-métrage sont alors extrêmement poussifs, agaçants et horripilants, Tom Hooper ne parvenant pas à transcender les écrits d’Hugo. Forcément, adapter ce roman fleuve nécessitait d’occulter certaines péripéties et quelques personnages, mais l’interrogation sur la pertinence des choix opérés est légitime. Les Tomes I et II qui concernent respectivement Fantine et Cosette sont ainsi très mal exploités, seule la performance d’Anne Hathaway tient le public en éveil, une fois la surprise d’entendre les acteurs chanter dissipée. Le roman se voit alors dépouillé d’une partie de son essence, la portée des propos étant réduite à son minimum, notamment en ce qui concerne la dimension spirituelle où la critique d’une Église carcan et l’apologie de la véritable foi sont délaissées pour des scènes ésotériques peu convaincantes. Le même reproche peut être fait à l’égard de l’optique choisie pour traiter les revendications républicaines ou la critique acerbe de Victor Hugo de la Monarchie de Juillet.
Néanmoins, la magie finit par opérer à la moitié du film et dès lors que Tom Hooper s’empare du Tome III (celui consacré à Marius), le long-métrage décolle enfin, le metteur en scène semblant avoir retrouvé son talent et toute l’inspiration nécessaire. Cette deuxième partie est alors la parfaite antithèse de la précédente, les numéros chorégraphiés prenant une dimension bien plus considérable et les enjeux dramatiques trouvant enfin une véritable résonance. Par des dialogues intelligents, la fougue de ces jeunes révolutionnaires idéalistes transparaît à l’écran, les interactions des personnages s’inscrivant dans un puzzle qui retrouve la cohérence du bouquin originel. L’insurrection de Juin 1832 donne alors le souffle qui manquait à l’ensemble, l’épisode de la barricade de la rue Saint-Denis offrant incontestablement une seconde vie au métrage.
Si la surdose musicale nous a offert une bonne nausée durant les premières minutes, celle-ci finit par se dissiper, la qualité des numéros s’améliorant exponentiellement. Des premiers instants poussiéreux, la grandeur de l’œuvre finit par exister à l’écran dans une deuxième partie éminemment plus intelligente que ce que laissait présager la catastrophique introduction. Toutefois, à l’image du récent « Bel-ami », si les américains pouvaient arrêter de nous piquer nos sommets de la littérature pour en faire de grosses productions douteuses, nous n’irions pas nous plaindre. Cependant, l’originalité et l’excentricité assumées de cet opus nous offrent une relecture singulière et intéressante bien qu’inégale.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE