MILLENIUM : CE QUI NE ME TUE PAS
Lisbeth humaine
Un éminent chercheur suédois en intelligence artificielle fait appel à la hackeuse Lisbeth Salander pour récupérer un dangereux logiciel qu’il a créé et qui permet de prendre le contrôle des armes nucléaires sur le globe. Elle n’est hélas pas la seule à rechercher ce logiciel : la NSA et un groupe de terroristes sont aussi sur sa trace, de même que son ami journaliste Mikael Blomkvist, qui se retrouve lui aussi dans l’équation. Et pour ne rien arranger, le passé familial de Lisbeth va refaire surface…
C’était inévitable : comment espérer transformer l’essai en prenant la suite de David Fincher ? Il fallait une sacrée dose d’inconscience ou de fougue kamikaze pour imaginer une telle affaire pliée d’avance, le génie du réalisateur de "Fight Club" et de "The Social Network" trônant désormais parmi les plus hautes cimes des ténors de la caméra, du montage, de l’esthétique et de la rythmique sur grand écran. En même temps, Fede Alvarez n’en était pas à son premier coup en la matière : il suffit de se souvenir de son fulgurant remake (ou suite ?) d’"Evil Dead" pour laisser croire qu’il avait une bonne idée derrière la tête. En réalité, ce n’est pas lui qu’il faut cibler sur "Millénium", mais davantage le studio Sony, bizarrement désireux d’y voir une potentielle franchise même après le semi-échec commercial du chef-d’œuvre techno-dark de Fincher. L’option choisie par le studio est clarifiée dès les premiers plans : une intro vite expédiée, un générique pompé sur celui du film original (mais en plus court et avec un accompagnement sonore moins agressif) et une nouvelle incarnation de notre Lisbeth adorée en la personne de Claire Foy. Bon, certes, un plan sur deux, celle-ci évoque davantage un sosie gothique de Christine and the Queens (en mode « Chris ») qu’une hackeuse punk et asociale, mais son grand talent d’actrice fait le job sans chercher à faire de l’ombre à ses prédécesseuses.
Et le film, donc ? De la série B vénère et technologique qui, sous couvert d’adapter le quatrième opus de la saga littéraire (c’est-à-dire le premier non écrit par Stieg Larsson), tend au contraire à la réécrire et à la condenser en y injectant par-ci par-là des éléments des deux épisodes non adaptés (la scène finale avec un bidon d’essence et des allumettes devrait faire tilt chez les fans de l’œuvre littéraire de Larsson). L’objectif est simple : utiliser comme prétexte une intrigue à la "Code Mercury" (sauver un gamin surdoué convoité par une organisation terroriste qui souhaite l’utiliser pour décrypter un logiciel) afin de tout miser sur sa figure féminine centrale. Rien d’anormal là-dedans, puisque la popularité du personnage de Lisbeth Salander n’est plus à démontrer. Fallait-il pour autant en faire une authentique vigilante du Web qui joue du hacking comme elle respire, qui entame des jeux de pistes en mode corrida avec plus de furtivité que Jason Bourne, et qui absorbe trop facilement les indices pour avancer dans sa quête ? On préfère voir là le désir des producteurs de miser sur la rapidité du récit là où Fincher prenait son temps pour développer une atmosphère dérangeante et métallique à souhait. De ce fait, Lisbeth est de tous les plans, dévore chaque scène, et ne laisse donc que des miettes à tous ceux qui l’entourent, en particulier une Sylvia Hoakes en mode « poupée de cire en robe rouge » et un Sverrir Gudnason aussi expressif qu’un acteur de "Melrose Place".
Le sous-texte familial et pseudo-féministe qui était déjà à l’œuvre dans le livre se voit ici expédié en deux scènes placées aux extrémités du récit, laissant ainsi ce dernier mettre les bouchées doubles sur l’énergie des scènes d’action (nerveuses) et l’exploration d’une réalité désormais réduite à un amas de lignes de code et de cryptages en tous genres. Il y a un avantage à tirer de cela : développer davantage la fibre humaine de Lisbeth Salander, laissant ainsi surnager une profonde humanité derrière la figure ambiguë et sadique qui nous avait tant fascinés. Fede Alvarez se contente ainsi de mettre sa caméra au service de son héroïne, peaufinant ici et là de superbes cadres qui enveloppent le personnage d’un curieux linceul entre la stylisation arty (les boîtes de nuit où Lisbeth se ressource) et la noirceur hivernale (tout ce qui relève du monde extérieur). Il n’arrive cependant pas au quart du tiers de la moitié du génie de David Fincher, dont le spectre fait ici l’effet d’un virus solide et insidieux que le plus pointu des cinéastes ne saurait pas cracker. Au moins, Alvarez a eu l’intelligence de ne pas chercher à relever le défi et de se contenter d’assurer avec brio une continuité efficace. On n’en espérait pas moins.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur