MEGALOPOLIS
Egopolis ou la culture d’entretenir son narcissisme
L’architecte de génie, César Catilina, veut révolutionner la ville de New Rome en chamboulant les privilèges établis. Évidemment, le maire conservateur s’y oppose fortement. Mais sa fille semble plus séduite par le projet. À moins que ce soit par l’homme…
C’était l’évènement de cette 77ᵉ édition du Festival de Cannes. Puis un murmure. Une rumeur qui se propage sur la Croisette. Le « nouveau Coppola » serait un accident industriel, un ratage complet, un flop considérable. Malheureusement, le bourdonnement avait ses justifications. "Megalopolis" est une œuvre consternante, dont le mauvais goût est à la hauteur de l’ambition initiale. Quarante ans que le réalisateur d’"Apocalypse Now", "Dracula" et "Le Parrain" préparait ce projet, au point de finir par investir sa fortune personnelle pour pouvoir le financer. Son chant du cygne devait nous éblouir, rappeler à tous à quel point il est un cinéaste de génie. Au lieu de ça, dès les premiers instants, le résultat tourne au ridicule, au trip pseudo-intellectuel où les tirades imbitables s’enchaînent au rythme des dialogues pompeux d’acteurs en surjeu total.
Dans une Amérique moderne aux airs de Rome antique, un architecte de génie veut renverser l’ordre établi, permettre l’égalité des chances et supprimer tous les privilèges des élites. Forcément, les nantis de la ville voient d’un mauvais œil ce chamboulement annoncé des classes sociales. Avec des noms qui sonnent comme familiers (Cicéron, César…), le film propose une vision inédite du futur, construite en très grande partie comme un miroir uchronique de l’Empire romain, invitant les nouvelles technologies à croiser des pratiques ancestrales dans un mélange d’inspirations sur le papier intéressant. Mais si cet univers était riche de promesses, celles-ci seront complètement balayées par une esthétique proche d’une pièce de théâtre de collégiens, qui eux n’auraient pas eu 120 millions d’euros pour produire de tels décors.
Avec une vision des femmes a minima questionnable voire profondément dérangeante, le métrage est un fiasco constant, où chaque séquence ne vient qu’enfoncer encore plus bas cet ensemble artificiel et terriblement boursouflé. L’ambition s’étant transformée en prétention, "Megalopolis" ne se mue plus qu’en une succession interminable de situations allégoriques et de citations aléatoires de Marc Aurèle, sans bien que l’on comprenne les velléités du metteur en scène. Dans cette volonté de condamner nos dérives contemporaines par notre décadence d’antan, quelques moments parviennent toutefois à nous attraper, à l’image de cette déambulation d’Adam Driver ensanglanté ou ces statues vivantes qui s’écroulent. Opéra ampoulé et péplum assommant, cet essai cinématographique s’avère n’être, au final, qu’une variation formelle ratée autour des thématiques classiques de ce genre cinématographique, avec ses protagonistes assoiffés de pouvoir, ses trahisons familiales à gogo et ses histoires d’amour déraisonnées. L’ajout d’une dimension fantastique (avec le pouvoir du héros) et de SF (la météorite qui menace la Terre) n’y changeront rien : l’ennui et l’incompréhension nous ont gagné depuis longtemps.
Durant le prologue, le narrateur s’interrogeait si à la mort d’un empire, celui-ci s’effondrait en un instant tragique. Nous n’avons pas la réponse à la question, mais il est certain que le dernier opus de Francis Ford Coppola s’est bien effondré, et ce, de manière tragique. Une nouvelle rumeur parcourt les antres du Palais des Festivals. Il ne s’agirait plus de son dernier film, un autre serait en préparation. Alléluia ! Ou pas ?...
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur