Festival Que du feu 2024 encart

MÉANDRE

Un film de Mathieu Turi

Rubik’s Tube

Une jeune femme se fait prendre en stop au bord d’une route. A la radio, on annonce la présence d’un homme dangereux qui correspond en tous points à son chauffeur. Celui-ci l’assomme alors… Elle se réveille ensuite dans une structure en forme de tube, garnie de pièges mortels, dans laquelle il lui faudra constamment avancer en un temps imparti pour ne pas mourir…

Méandre film movie

Chaque année, le cinéma de genre français nous apporte autant d’espoirs que de désillusions. Le plus souvent quand ça rate, l’échec tient moins à une quelconque carence technique ou plastique qu’à une absence d’idées et d’audaces. Pour un Aja et un Laugier qui osent lorgner vers des territoires toujours plus viscéraux et frontaux afin de transcender le genre (un exercice risqué dont ils sortent en général avec les honneurs), il faut à côté de ça se satisfaire de propositions de films de genre techniquement aboutis mais qui frisent l’exercice de style à force de ne se limiter qu’aux deux lignes de leur synopsis. Après un "Hostile" certes bien fichu mais plein de maladresses, Mathieu Turi persiste et signe dans sa fascination pour les espaces clos avec "Méandre", second essai dont les promesses savamment alimentées depuis des mois font ici l’effet d’une baudruche crevée en moins d’une demi-heure. Le temps nécessaire pour que le spectateur ait vu le mot « cube » clignoter à chaque nouveau couloir de ce « tube ». Parce que oui, c’est dur d’y échapper : voir un jeune réalisateur reprendre un concept simplissime que tant d’autres ont su imposer et enrichir dans le passé ne suscite qu’un seul effet durant la projection, c’est-à-dire une comparaison à charge. Et là-dessus, "Méandre" peine à se hisser à la hauteur de l’ultra-culte "Cube" de Vincenzo Natali, tant en terme de suspense qu’en terme d’enjeux.

La comparaison est en l’état impossible à esquiver. Grosso modo, une jeune femme avance (ou plutôt rampe) dans une sorte d’intestin grêle high-tech à la recherche d’une sortie et d’une explication, tout en évitant plein de pièges sadiques qui, très vite, vont prendre l’allure de « coups ». On a le coup du couloir qui rétrécit, le coup du couloir inondé, le coup du lance-flammes qui te passe au barbecue, le coup du bain d’acide à esquiver, le coup de la créature assoiffée de sang – ici un Toxic Avenger de supérette – qui surgit du plafond comme dans un vieux jeu de plateforme, le coup de l’« autre humain piégé » qui tangue entre l’allié potentiel et le parasite à sacrifier, etc… On parle de « coups » parce qu’ils sont répétés par un cinéaste qui donne l’impression d’étirer ad nauseam le pitch plus que limité d’un banal moyen-métrage. Du coup, on en vient à bailler au lieu de trembler. En outre, louable était la démarche d’opter pour une horreur radicale et sans ancrage thématique explicite, mais encore fallait-il gérer l’évolution exponentielle de la tension pour tenir en haleine et entretenir l’ambiguïté pour tenir en éveil. Ce sur quoi Turi rend les armes dès le premier tiers, offrant ici une spatialisation de l’action peu compréhensible (la structure de ce « tube » frise parfois l’illogique quand les couloirs se succèdent ou se déforment !), et ne faisant que rendre la tension caduque à force de répéter les mêmes péripéties (une fois ça va, cinq fois ça lasse !). Et ce ne sont même pas deux ou trois effets gores par-ci par-là qui vont y changer grand-chose.

Le fait que le film ne repose que sur un seul personnage central est en outre une fausse bonne idée. Ici limitée à un rôle physique, l’actrice Gaïa Weiss ne suscite pas la moindre empathie lorsqu’un danger mortel lui arrive en pleine face. C’est l’agencement du récit qui en est la cause : soit on se doute bien qu’elle va s’en sortir parce qu’on en est à vingt minutes de métrage (on n’aurait pas ce ressenti-là si le film suivait plusieurs captifs), soit le réalisateur recourt à un deus ex machina bien lourdingue quand elle a l’air bloquée pour de bon (le coup du plancher qui s’ouvre au dernier moment, sérieux ?). Pour un pitch qui se devait d’installer une atmosphère toujours plus irrespirable en jouant aussi bien sur les cadres que sur le découpage, il est en outre très étonnant de voir Turi compter le moins possible sur l’horizontalité de son Scope (hormis lors d’un plan latéral sur un couloir quasiment aplati) ou sur une approche purement sensorielle de son découpage pour amplifier le stress. Claustrophobes ne pas s’abstenir, donc : "Méandre" ne sera pas le genre de huis clos à priver le spectateur de son oxygène. Peut-être est-ce surtout parce qu’il commet la grave erreur de s’ouvrir et de se refermer à l’extérieur de cette prison high-tech. Là, ça ne lorgne plus vers "Cube" mais plutôt vers ses suites de sinistre mémoire, qui en trahissaient le concept abstrait par un goût de l’explicatif et de la symbolique vaniteuse.

On considérera ainsi que la piste thématique choisie pour éclairer la finalité de "Méandre" est ce qui achève de couler tout le projet. Là où le "Cube" de Natali conservait le mystère sur sa prison de métal afin de brasser un maximum de pistes interprétatives (allant de la fable sartrienne jusqu’à une allégorie réflexive sur le libre arbitre), Turi se contente de pomper l’enjeu central de "The Descent" – un chemin de croix physique pour une jeune femme meurtrie par le deuil. Et quand le final tombe, il est juste impossible à avaler au vu du premier degré frontal qui le précédait. Ce décor labyrinthique que l’on avait investi et apprivoisé pendant plus d’une heure révèle alors des fondations plus branlantes qu’autre chose, et ce sous l’effet d’une lecture métaphorique que l’on aurait aimée sous-jacente et pas explicite à ce point-là. C’est d’autant plus gênant qu’un flashback totalement illisible en vue subjective nous avait déjà mis la puce à l’oreille à la fin du premier tiers. On en sort en se disant que le film n’a pas su gérer son passage d’un pur postulat de survie physique (lecture concrète et ludique) à une forte ambition psychologique (lecture abstraite et symbolique). Et que Mathieu Turi s’est fait lui-même hara-kiri en utilisant l’onirisme – pour ne pas dire la métaphysique ! – comme une porte de sortie trop grossière. Perdu dans les méandres d’une ambition mal canalisée, le créateur est devenu le cobaye de sa propre expérience : c’est lui-même que le film achève de viser par son titre.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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