MATRIA
Dans l’urgence permanente
Ramona, 42 ans, est employée au nettoyage d’une usine, avant que les ouvriers n’arrivent, à l’aube. Passant rapidement au café, elle enchaîne ensuite sur une journée de marin, relevant les filets ou soulevant des sacs de moules. Le soir, après avoir croisé sa fille de 18 ans, qui lui annonce qu’elle ne viendra finalement pas manger le lendemain, elle doit emmener son mari, qui rentre bourré, jusqu’au lit. Mais alors que son employeur lui annonce le rachat de son entreprise de nettoyage, annonçant que les agents d’entretiens vont devoir accepter une baisse de salaire de moitié (le temps « que les choses s’arrangent »), elle se fâche et se met à la recherche de petits ménages…
En découvrant le film d'Álvaro Gago, présenté dans la section Panorama du Festival de Berlin, on ne peut s’empêcher de penser au long métrage d'Éric Gravel, "À plein temps", sorti il y a environ un an, dans lequel Laure Calamy excellait dans le rôle d’une femme sous pression, vivant en banlieue parisienne et devant chaque jour lutter pour rejoindre son travail dans Paris, tout en s’occupant de ses enfants. María Vázquez ("18 Comidas") livre elle aussi une prestation remarquable dans ce rôle au contexte certes différent (la multiplicité des boulots afin de pouvoir joindre les deux bouts, une fille indépendante qu’elle craint de voir devenir comme elle : avec un homme vivant a ses crochets), mais tout aussi intense.
Mais c’est surtout dans le rapport au mari que se trouve ici la différence, le scénario s’attachant non seulement à décrire la course contre la montre qui s’engage pour Ramona, afin de ne pas tomber dans la misère (la nervosité du personnage augmente alors qu’elle doit trouver d’autres boulots, les passages à l’agence pour l’emploi sont d’une rare violence verbale...), mais aussi à mettre le personnage face à ses contradictions en termes d’acceptation de sa situation et d’émancipation éventuelle. Jusqu’à l’épuisement, le rythme reste marqué, la caméra ne lâchant jamais sa combattive protagoniste, personnage féminin à la rare épaisseur, qui vous accroche forcément au passage.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur