MARCHER SUR L'EAU
Filmer à la fois l'urgence et l'espoir
Tatiste est un village situé dans le Sahel, au nord du Niger. Ses habitants luttent pour leur survie dans une région qui se désertifie de plus en plus. Ils espèrent que les autorités accepteront de les aider en réalisant un forage qui leur permettrait d’utiliser l’eau d’un lac sous-terrain…
Les documentaires sur les conséquences du dérèglement climatique se succèdent et provoquent cette sensation inquiétante que rien n'avance malgré les innombrables alertes. De ce point de vue, "Marcher sur l’eau" est donc un énième film de trop car une nouvelle preuve de l’urgence. En revanche, d’un point de vue cinématographique, ce n’est pas un film de trop, malgré ses apparences de carte de postale engagée à la Yann Arthus-Bertrand.
Désormais bien connue pour ses engagements multiples (dont l’ouvrage "Noir n’est pas mon métier" qu’elle avait dirigé) et déjà co-autrice d'un court métrage collectif en faveur des sans-papiers et d'un autre documentaire intitulé "Regard noir" (montré à Créteil en 2021), Aïssa Maïga est à la tête de ce très beau film tourné durant plus d’un an dans un village du Niger, perdu au fin fond du Sahel, où des Peuls de l’ethnie Wodaabe font face à des pénuries croissantes d’eau sur un territoire de plus en plus hostile (comme en atteste le chef du village, qui a connu des temps climatiquement meilleurs). Les pluies se raréfiant et les puits s’asséchant, la population est contrainte de parcourir de longues distances pour se ravitailler, de mettre les plus jeunes à contribution aux dépends de leur scolarisation et d’économiser scrupuleusement la moindre goutte.
Au lieu de longs discours théoriques, scientifiques ou idéologiques, ce documentaire préfère se focaliser sur une population précise qui est victime du dérèglement climatique, filmant ainsi le quotidien pour nous permettre de saisir les conséquences concrètes sur un territoire particulier. L'intérêt du film vient en grande partie de son aptitude à être à la fois alarmant et plein d'espoir, le récit accompagnant les villageois et villageoises dans cette lutte de tous les instants, à différentes périodes de l’année (avec d’impressionnants contrastes de conditions selon les mois !). La caméra s'attarde surtout sur les enfants, sur les femmes et sur l'instituteur, conférant au film une vitalité émouvante, où se mêlent tristesse et joie, abattement et espoir. "Marcher sur l'eau" leur donne la parole, met en valeur leurs visages et respecte leur dignité.
Par petites touches, le métrage montre également la complexité et le paradoxe de ces situations. Ainsi, le forage tant espéré serait un immense soulagement mais pas une solution durable. Plus perturbant encore : le plastique, pourtant en partie responsable des désastres écologiques à l’échelle planétaire, s’avère un allié de poids pour ces gens puisque cette matière est sans doute l’un des meilleurs compromis de légèreté et d’imperméabilité pour les contenants qu’ils utilisent pour transporter de l’eau sur de longues distances.
L'image magnifie autant ce qui est beau et ce qui est inquiétant, s'attachant aux visages comme à la terre sèche, multipliant les angles (souvent à hauteur d'enfant mais aussi depuis le ciel) afin de nous faire saisir l'atmosphère de cette région désertifiée, surprenante et effrayante à la fois. La musique soutient superbement ce vacillement permanent dont est constitué le documentaire, entre des moments de désespoir où l'on entre en empathie avec les protagonistes (dont une émouvante ado qui n'a jamais rien connu d'autre que son village en 14 ans d'existence et qui rêve d'ailleurs) et d'autres où l'on s'attendrit sur les jeux des enfants (particulièrement un bébé malicieux dont la présence est une sorte de soulagement régulier à côté des souffrances dont on est témoins). Au-delà de la réalité qu’il nous montre, "Marcher sur l'eau" parvient à en faire de vrais personnages de cinéma que l’on est triste de quitter lorsque le générique arrive.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur