LA MANTE RELIGIEUSE
L'amante religieuse
On ne peut décidément pas se passer d’un tel regard. D’une telle beauté, non plus. Au vu de la poignée de films marquants dans lesquels elle a pu s’illustrer, des "Filles du botaniste" à "Gainsbourg (vie héroïque)" en passant par "Martyrs", le doute n’est plus permis concernant Mylène Jampanoï : actrice à la beauté décidément irréelle, présence physique et charnelle qui envoûte et ensorcèle son audience, et surtout l’une des rares actrices françaises du moment (si ce n’est la seule) à pouvoir déplier un éventail de mille émotions contradictoires au travers d’un simple regard, à la fois perçant et gorgé d’un mystère difficile à déflorer. Un personnage tel que celui de "La Mante religieuse" lui était clairement destiné, et l’on regrettera que l’ambiguïté qu’elle réussit ici à dégager n’ait pas été le ciment principal de la mise en scène de Natalie Saracco. Au risque d’aboutir à un film peut-être trop radical, focalisé non-stop sur le cadrage du visage de Jampanoï, cela aurait néanmoins contribué à intensifier le mystère de ce personnage sexy, extrême dans ses actes et animé par un dévorant appétit sexuel, qui va voir s’illuminer la lumière de la rédemption suite à sa rencontre avec un prêtre…
Bon, déjà, inutile d’aller trop loin dans les espérances : ici, on n’est pas chez Abel Ferrara. Et c’est à vrai dire le premier regret que l’on pourra ressentir vis-à-vis du film : manquer ici d’un vrai regard de cinéaste qui viendrait injecter du souffre et une substance forte à un propos finalement bien fade. Cela dit, la première heure du film reste en soi une sacrée réussite, centrée sur l’évolution progressive de l’héroïne, passant d’une flopée de scènes à connotation sulfureuse (Jézabel navigue entre séances de léchouille avec sa copine et provocations répétées envers le corps religieux) à une forme d’apaisement nourrie d’un rapport verbal des plus enrichissants. Durant une bonne heure, Natalie Saracco évite avec brio le moindre piège du récit rédempteur bas de plafond, et cela en laissant judicieusement sa mise en scène filtrer elle-même le rapport implicite entre ses deux personnages, ici mus par un étrange système de jaugeage diamétralement opposé.
D’un côté, on y voit une femme-serpent dont le charme de vipère tend peut-être à s’effacer au profil d’un amour sincère, et de l’autre, on découvre un jeune prêtre (brillamment joué par Marc Ruchmann) animé par une foi de moins en moins inébranlable au contact de celle qui semble nourrir chez lui l’appel de la chair. Ce rapport humain, ici traité sous l’angle de la foi religieuse qui sert autant de règle à transgresser chez l’une que de repère sécurisant chez l’autre, fait toute la force de l’intrigue, au point même de faire naître le doute sur les forces physiques et psychologiques qui semblent le régir. Ici, le schéma interne des personnages tangue sans cesse entre la concrétisation des pulsions (qui passent ici pour sincères) ou la dissimulation des sentiments (qui semblent ici de plus en plus inavouables). Ainsi, le film se construit sur un trouble émotionnel des plus subtils, d’autant plus efficace qu’il ne se mange jamais le mur de la lecture religieuse trop appuyée. Du moins jusqu’à son dernier acte. Et c’est hélas là que cette peinture quasi idyllique voit toutes ses couleurs se griser de manière fatale…
L’histoire personnelle de la réalisatrice aide à y voir plus clair dans cette affaire : durant un mois de juillet où elle s’apprêtait à réaliser son premier film sous la houlette d’un célèbre producteur, Natalie Saracco aura vécu une expérience de mort imminente à la suite d’un terrible accident de voiture, qui l’aura laissée encastrée sous un amas de tôle en compagnie de son amie, également passagère du véhicule. Un événement traumatisant durant lequel, selon ses propres dires, elle aura pu visualiser le Christ en train de pleurer face à elle, au moment même où toute énergie semblait se vider définitivement de son corps. Et c’est en sortant vivante de cette tragédie personnelle que l’écriture du scénario de "La Mante religieuse" aura été finalement lancée.
Loin de nous l’idée de vouloir poser un jugement cynique ou moqueur sur ce genre d’illumination (de toute façon, la question n’est pas là), mais au vu d’un dernier quart d’heure qui utilise un événement similaire pour orienter le récit vers la plus écœurante des bondieuseries (sans parler de l’avertissement d’Évangile qui lance le générique de fin), faut-il encore se remettre à gueuler contre cette propension de certaines personnes à utiliser l’art comme vecteur prosélyte ? Pour le coup, cette fin aura vite fait de ruiner nos espoirs d’un drame fort et ambigu, dont le récit viserait à laisser chaque spectateur sortir du film avec ses propres réponses et son propre rapport à la foi. Mais comme le regard de Mylène (oui, toujours elle…) et la subtilité de la première heure continuent de nous hanter en quittant la projection, le pardon s’impose autant que la tolérance.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur