MANO DE OBRA
Acte de propriété
Francisco voit son frère mourir en tombant du toit de la villa qu’ils sont en train de construire avec d’autres ouvriers. Une enquête révèle qu’il était ivre, ce que Francisco ne peut pas croire, car son frère ne buvait jamais. L’entreprise refuse de verser une pension à sa veuve. Francisco, avec d’autres, décide alors de s’approprier la demeure…
À qui appartient une maison ? À ceux qui ont sué sang et eau pour la bâtir, en prenant tous les risques pour une misère, alors qu’eux-mêmes rentraient le soir dans des bidonvilles pour s’entasser dans des logements insalubres, ou au riche propriétaire qui l’a fait construire et qui va y vivre seul deux mois par an ?
"Mano de obra" (littéralement « main d’œuvre ») pose cette question, mais se garde d’y répondre, car bien que ce soit un film social, à la limite du documentaire dans l’approche de la vie des travailleurs du bâtiment mexicains, ce qui intéresse avant tout le réalisateur, c’est la trajectoire individuelle de son protagoniste Francisco, qui voit sa vie s’effondrer suite à un accident. Il se rend alors compte de l’étendue de son impuissance et de son aliénation dans un monde où certains ont tout et d’autres rien. Alors qu’il accepte depuis toujours sa place, silencieusement, il se révolte et comprend que le mur qui le sépare du riche, du propriétaire, de la maison, est haut, mais qu'il peut être escaladé et qu'une fois à l’intérieur, il n’y a plus qu’à ouvrir la porte pour laisser les autres entrer.
La caméra de David Zonana reste à la surface des personnages, elle ne pénètre pas dans leur intériorité et ne les juge pas. Elle les montre, les observe, sans les scruter ou les mettre sous un microscope. C’est un cinéma sans fard, sans grands mouvements de caméra ostentatoires. L’action y est filmée de manière frontale, sur le mode de la chronique, sans chercher le sensationnel. Un cinéma qui dit « la vie, leur vie, c’est ça ». Un cinéma qui ne juge pas et qui ne cherche pas à donner des réponses. Un cinéma qui laisse à son spectateur la liberté de l’interprétation et du jugement. La fin du film est d’ailleurs ouverte, et non explicite, laissant le spectateur libre de comprendre ce qu’il veut.
"Mano de obra" est un film riche, qui s’intéresse à une énième manifestation de l’écart entre les riches et les pauvres, mais qui le fait de manière pertinente. C’est un film qui, sans dénoncer, amène son audience à se poser des questions et à aller plus loin que les préconceptions les plus courantes dans ce type de débat. C’est aussi un film qui montre des lieux, des personnes, des visages, qui sont peu représentés au cinéma et que l’on voit plutôt dans des reportages misérabilistes. Sans chercher à les comprendre, le film de David Zonana va à leur rencontre, les prend tels qu’ils sont, et les implique dans une fiction sans dénaturer leur réalité.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur