MAN ON HIGH HEELS
Un polar transgenre euphorisant
Yoon Ji-wook est une véritable légende de la police coréenne. Connu pour ses méthodes viriles et son sens aiguisé de l’investigation, admiré de ses confrères et redouté par la pègre locale, il est d’une efficacité redoutable doublée d’une élégance et d’un sex appeal rares. Or malgré son succès, il souhaite démissionner afin de réaliser son rêve le plus cher : subir l’opération qui lui permettra de devenir une femme…
Démarrant à 100 à l’heure avec une scène de baston digne d’un « Kill Bill » de Quentin Tarantino, au cours de laquelle notre protagoniste fait plier sans effort une tablée entière de mafieux armés jusqu’aux dents, « Man on high heels » plonge tout de suite le spectateur dans le bain exaltant d’une série B léchée. Les ressorts les plus vintage du cinéma coréen d’action sont en effet activés, du héros ténébreux aux scènes de combat collectif ultra-chorégraphiées, avec bien sûr des giclées de sang hautement dosées. La parodie est assumée (« même sans parapluie, la pluie ne le touche pas »…) mais jamais exaspérante, l’humour est omniprésent mais niché dans les détails. Il souffle ainsi sur ce film un vent de fraîcheur tout à fait réjouissant, que les amateurs de cinéma de genre (et même les autres !) ne sauront bouder.
Il faut reconnaître que cette histoire de flic transgenre dont le monde entier envie la virilité est plutôt amusante. Jouant du contraste évidemment fort entre la posture que le personnage adopte en société et son projet intime, le cinéaste fait de la question de l’identité sexuelle à la fois un levier burlesque (avec une forme de sincérité qui coupe court à tout procès de mauvaise intention) et un ingrédient moteur de l’intrigue, puisque c’est cette quête personnelle qui fait avancer le personnage et permet de révéler des éléments de son passé. Le film affiche donc au final une modernité décoiffante, revisitant le concept de soap-opera sans craindre la grandiloquence, et exploitant le filon de la transsexualité du protagoniste avec une impertinence déconcertante.
À ce tableau foutraque s’ajoute l’ingrédient clé de tout bon divertissement qui se respecte : l’art de la scène culte, qui s’exerce à plusieurs reprises tout au long du métrage. On retiendra notamment une confrontation à la « Heat » de Michael Mann, entre le héros et son ennemi du moment, assis dans un canapé, chacun chaussé de patins protège-parquet comment l’exige la bienséance. On notera également un lot de répliques hilarantes et de détails idiots prompts à vous faire décrocher des sourires. De là à saluer le geste cinématographique, n’exagérons rien : « Man on high heels » n’a ni la tension dramatique d’un « A bittersweet life » de Kim Jee-woon, ni la force émotionnelle d’un « Old boy » de Park Chan-Wook, deux films dont on sent par moments l’influence. Mais au vu du petit succès rencontré par le film en festival (il reçu le Grand prix et le Prix de la critique à Beaune en 2016), et de la douce folie qui s’en dégage au visionnage, nul doute qu’il rencontrera son public en France.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur