MAI RATIMA
Intolérable cruauté
Célèbre interprète du personnage tyrannique de Lee Woo-jin dans "Old Boy", Yoo Ji-Tae passe pour la première fois derrière la caméra, avec un long-métrage d’une toute autre teneur. Il ancre en effet son récit dans une réalité sociale et sociétale, celle de la situation des immigrés en Corée du Sud. Sachant que le pays s’est ouvert sur la tard à l’accueil de main d’œuvre étrangère, d’où son image de village gaulois, le sujet a le mérite d’être assez inédit au cinéma. Il est exploré à travers différents prismes : celui des conditions de travail (la jeune femme travaille dans la confection de vêtements de son beau-frère, qui ne la paye pas), celui du regard des autres (sa belle-famille la déteste car elle est étrangère) et celui, plus tourné vers les migrants eux-mêmes, de la solitude et de l’égarement (elle est seule dans un monde radicalement différent du sien). C’est le traitement de cette dernière facette qui s’avère le plus intéressant.
Passons donc la première demi-heure d’exposition de la terrible situation de Mai Ratima en tant que travailleuse et belle-fille thaïlandaise. Violation des droits du travail, considération malsaine de son patron, asservissement sexuel et domestique… le tableau ne fait pas dans la dentelle, rassemblant le pire qui pourrait s’imaginer à une jeune fille timide, prise à la gorge entre sa situation d’étrangère et sa famille qui lui en demande toujours plus. Bien que réaliste, le film, à ce stade, exaspère. On se réjouit donc de voir le sordide destin de cette jeune fille bousculé du jour au lendemain, lorsqu’elle accepte de suivre Soo-young, le jeune homme qui lui vient en aide, à Séoul.
Sans grande surprise, l’intrigue prend bien vite la tournure d’une romance entre les deux jeunes gens. Tantôt maladroit, tantôt mièvre (la scène de baiser est pathétique), le film donne alors l’impression de se chercher en permanence. Pourtant, c’est à partir de là que les événements prennent une tournure inattendue (qu’il serait dommage de vous révéler) et que le récit prend toute son ampleur. Le film sort alors de son périmètre de sécurité pour revêtir un propos d’une cruauté hallucinante, que l’hyper-réalisme des situations et de l’interprétation rend absolument bouleversant. A ce titre, les deux jeunes acteurs s’avèrent remarquables, portant par leur implication une grande partie du film sur leurs épaules. Plus tranchante et moins misérabiliste que le début du métrage, cette deuxième partie contient les idées les plus intéressantes, et aussi les images les plus marquantes. On quitte la séance remué, surpris d’être passé en l’espace de deux heures de l’indifférence la plus totale à l’effondrement le plus complet. Récompensé du Prix du jury au festival du cinéma asiatique de Deauville en 2013, "Mai Ratima" devrait trouver sans problème le chemin de salles françaises.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur