MAESTRO
Un biopic sur Léonard Bernstein, sans grand relief
Lors d’une interview, le chef d’orchestre Léonard Bernstein, âgé, assis au piano, exprime sa tristesse et le manque ressenti suite à la disparition de sa femme, Felicia Montealegre Cohn Bernstein. Lorsqu’ils se sont rencontrés, lors d’une soirée, alors qu’il commençait à être célèbre et filait discrètement des jours heureux avec son amant, elle étudiait le piano et la comédie. Mais leur vie ensemble n’a pas toujours été idyllique…
Sortie le 20 décembre 2023 sur Netflix
Ouvrant et refermant son film sur le tournage d’une interview de Leonard Bernstein âgé, Bradley Cooper place d’emblée le curseur du côté de l’intime, livrant au final un biopic très peu centré sur le métier de l’artiste. On aurait pu pourtant croire le contraire, du fait de l’épatante scène suivante, où le film bascule en noir et blanc, résumant alors en un plan séquence remarquable tout l’élan passionné de l’homme pour son métier. On y suit en effet Bernstein de couloir en survol de décors, jusqu’à une salle de concert où il se retrouve à faire le remplacement qui lancera son immense carrière, en tant que chef d’orchestre. C’est ici la joie, l’excitation, qui dominent, celles d’un passionné, heureux de se lancer et de se retrouver sur le devant de la scène, même sans répétition. Une joie éphémère, encore subsistante dans les premiers moments avec celle qui deviendra son épouse, mais qui semblera se noyer peu à peu derrière les secrets, les non-dits, les mensonges et autres compromissions.
Avec cet effacement, la mise en scène elle aussi semble se faire plus sage, comme l’homme, alors qu’il décide de s’engager dans une relation avec cette femme, quelque part entre sincérité initiale et pression sociale de l’époque. Le scénario, cosigné avec Josh Singer (plus habitué aux scripts politiques et à suspense, puisqu'on lui doit "Pentagon Papers", "Spotlight", la série "Fringe"…) ne réussit jamais réellement à transmettre les élans de liberté du Maestro, insistant sur sa complicité avec Felicia et une certaine forme d’engagement envers elle, et préférant s’engouffrer dans le drame de manière répétée et écartant trop rapidement ses états d’âmes par rapport à son travail. La mise en scène de Bradley Cooper se fait pourtant plutôt fine, filmant de loin une dispute à demi-mots depuis le jardin, ou suggérant un tournant dans leur relation, avec des affaires mises à la porte de la chambre…
Mais rien n’y fait, non seulement le personnage qu’il interprète lui-même et était venu défendre au Festival de Venise, où le film était présenté en compétition, ne parvient pas à créer l’empathie. Pire, il devient de plus en plus antipathique au fil du métrage, entre vanité et égoïsme, alors que s’affirme pourtant son légitime besoin d’être lui-même et d’être libre. Face à lui, c’est finalement Carey Mulligan qui emporte le morceau, parvenant, sous les montagnes de pathos accumulées par un scénario qui souffle le chaud et le froid autour du comportement de l’homme avec son épouse, à endosser le rôle de martyr bienveillante. La dernière partie, en tire l’arme, n’arrange pas les choses, affichant compréhension et pardon en grosses lettres sur les visages des deux interprètes. En sortant de la salle, on se dit qu’on n’a finalement pas appris grand-chose sur la carrière de l’artiste passionné Leonard Bernstein. Et on a la sensation d’avoir assisté à la longue agonie d’un couple initié pour de mauvaises raisons, dans un film qui au passage n’a fait que survoler l’impact de la renommée l’intimité d’un homme peu ordinaire.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur