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MADE IN FRANCE

Un film de Nicolas Boukhrief

Scolaire, mais salutaire

Sam est un journaliste indépendant, spécialiste de la culture musulmane. Actuellement infiltré dans les milieux intégristes de la banlieue parisienne en vue d’écrire un article, il se rapproche de quatre jeunes qui ont reçu pour mission de créer une cellule djihadiste. Mené par un leader du nom de Hassan, le groupe se retrouve chargé de faire exploser une bombe en plein cur des Champs-Elysées…

Sortie en VOD le 29 janvier 2016

Cela faisait sans doute très longtemps que l’actualité – ténébreuse au plus haut niveau – n’avait pas à ce point joué un rôle majeur dans la (dé)programmation d’un film de cinéma. En s’immergeant dans le milieu des cellules djihadistes en France, le réalisateur Nicolas Boukhrief (ancien critique de Starfix passé à la réalisation) devait sans doute s’attendre pour ce sixième film à se prendre en pleine face ce mur fatal et inébranlable, formé par des exploitants frileux à l’idée de diffuser un long-métrage brûlant dans leurs salles. Les attentats du 13 novembre 2015 auront finalement enfoncé le clou, privant ainsi le film de sa date de sortie initiale (prévue cinq jours plus tard) et l’écartant définitivement des salles pour le limiter à une sortie en VOD.

À bien des égards, cette privation de grand écran est surtout le signe d’une profonde connerie, autant de par l’utilité publique du film en question que pour ses indéniables qualités cinématographiques (le film a été pensé pour la salle de cinéma, et cela se sent dans chaque scène). Il est néanmoins capital de préciser une chose : "Made in France" est avant tout un film de genre, plus précisément un thriller, formellement très éloigné des quelques rares films qui ont eu le courage d’aborder frontalement la radicalisation djihadiste en France (citons "La Désintégration" de Philippe Faucon, sans doute le film phare sur ce sujet). Fidèle à sa passion immodérée pour le cinéma de genre (on lui doit quand même "Le Convoyeur" et "Gardiens de l’ordre"), Nicolas Boukhrief utilise donc le thriller comme méthode d’infiltration autant que de distanciation, à l’image de son protagoniste central, à la fois journaliste engagé et spécialiste du Coran, qui infiltre une cellule djihadiste tout en servant d’indic pour la police.

Le scénario – très documenté – et la mise en scène se calquent donc sur ce principe d’immersion discrète : le premier suit avec tact et précision le travail préparatoire d’un attentat (avec tout ce que cela comporte de phases d’attente, de doute et de tension), tandis que la seconde signe sa révérence aux codes du thriller undercover pour mieux intensifier un suspense de plus en plus assimilable à un nœud coulant. Par modestie ou par contrainte budgétaire, Boukhrief choisit de rester au plus près de ses personnages et de circonscrire son intrigue à l’immersion dans ce petit groupe armé, au sein duquel le stress ne cesse de monter au fil de chaque événement (recherche des armes, choix d’une cible, entraînement au tir, etc.). En outre, l’intimité de chacun reste à l’état d’ébauche à peu près autant que leurs convictions : Boukhrief lance certes quelques pistes sur leur psychologie et leur ressenti personnel (dont un jeune bourgeois breton, passé du catholicisme à l’islam, qui vénère Tony Montana !), mais s’en tient avant tout à une pure fiction, délestée des conventions du cinéma documentaire.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa mise en scène fait très souvent des merveilles, ne serait-ce que pour décrire à des fins atmosphériques l’appréhension de l’attentat au sein du groupe. Le fait de voir les cinq personnages face caméra démarrer leur transformation physique pour se dissimuler aux yeux des autres est une idée brillante : en assimilant la caméra à la glace d’un miroir, il y a déjà là l’idée d’une mise en scène que le film va tâcher de suivre en détail. Même chose pour les cadres de Boukhrief, chargés d’un malaise de plus en plus prononcé par l’usage de panoramiques millimétrés, la mise en place de travellings à 360° autour des acteurs ou encore la bande-son électro de Rob (à qui l’on devait celle du génial remake de "Maniac"). Plus le film est en mouvement, plus il prend aux tripes, plus son propos gagne en impact sensitif. Ou comment les codes du genre, associés à une réalisation pensée et calculée avec soin, suffisent à cerner le caractère anxiogène d’une situation donnée.

Reste que, malgré toutes les qualités intrinsèques de son film, Boukhrief se révèle finalement assez scolaire dans le cheminement de son intrigue. Précisons par là que les étapes attendues du thriller d’infiltration se juxtaposent de façon basique et invariable (les cinéphiles auront vite fait de deviner les passages obligés), et surtout que les ramifications souterraines du récit – en particulier l’identité des mystérieux ordonnanceurs du projet terroriste – se devinent comme le nez au milieu de la figure au bout d’un quart d’heure, faisant ainsi retomber la confrontation finale comme un soufflé. De plus, on se surprend à voir le cinéaste utiliser une voix off illustrative pour faire passer son message positif de tolérance juste avant le générique de fin – une image symbolique aurait eu un meilleur impact visuel. Rien qui ne suffise malgré tout à gâcher la réussite de ce film courageux, véritable polar de tête brûlée qui infiltre son sujet brûlant sans chercher le brûlot.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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