MADAME WEB
Quand Sony se retrouve à court de toile…
Cassandra Webb est une ambulancière à Manhattan qui se jette corps et âme dans son travail. De nature renfermée, Cassandra se voit souvent sollicitée par ses collègues pour qu’elle s’autorise un peu à vivre. Tout change lors d’une intervention qui tourne mal, où notre jeune new-yorkaise se retrouve coincée dans une voiture sous l’eau. C’est alors qu’elle se découvre des aptitudes particulières. Tout serait connecté via le passé de sa mère, un homme redoutable du nom d’Ezekiel et trois jeunes filles liées par le destin. Cass va alors devoir découvrir la vérité…
Par où commencer ? Sony Pictures a toujours été détenteur des droits du personnage emblématique des comics Marvel, Spider-Man. Et on ne les remerciera jamais assez d’avoir confié la première grande adaptation du tisseur à Sam Raimi ("Evil Dead") pour la trilogie qu’on connaît, culte aujourd’hui. C’est après la sortie du 3ème opus en 2007 que les choses vont commencer petit à petit à partir en vrille. Après le projet abandonné "Spider-Man 4", la compagnie se dirige sur un Reboot porté par Andrew Garfield au lieu de Tobey Maguire, avec Marc Webb à la réalisation ("500 Jours ensemble") avec le diptyque "The Amazing Spider-Man". Et comme ils n’ont pas fait l'unanimité et que les scores au box-office (notamment le second opus) ont été décevants du point de vue de la firme, le mot d’ordre fut à nouveau au changement de direction. Sony décide d’abandonner son reboot au profit d’une collaboration avec Marvel Studios, afin que Spidey rejoigne la troupe des "Avengers", cette fois sous les traits de Tom Holland. Mais le studio, tel Gargantua, décide de pousser l’exploitation encore plus loin. Hormis la trilogie d'animation "Into the Spider-Verse" qui s’est avérée être un vrai vent de fraîcheur au niveau du personnage, la major a décidé de lancer son propre univers connecté rassemblant des personnages issus de l’univers de l’hommage araignée… mais sans l’homme araignée. Vous sentez venir la couillonnade ?
Alors depuis quelques années le studio nous déverse quelques immondices cinématographiques comme avec les deux films "Venom", porté par Tom Hardy, ou encore "Morbius", incarné par Jared Leto. Bientôt ce sera "Kraven Le chasseur" avec Aaron Taylor-Johnson ("Kick-Ass") qui débarquera dans nos salles obscures, mais en attendant c’est "Madame Web" qui nous est présentée en ce début d’année. Et vous dire qu’on tient ici le premier grand navet de l’année serait un euphémisme. Nous n’allons pas accorder plus que de raison du temps à ce produit issu d’un autre temps. C’est bien simple, que ce soit dans sa structure narrative ou dans sa manière d’empiler ses enjeux sans conviction, on a la désagréable sensation d’être devant un produit sorti 20 ans trop tard. Et pourtant le film s’était entouré d’un casting de qualité avec en tête d’affiche Dakota Johnson qui nous avait bluffé dans le remake de "Suspiria" de 2018 par Luca Guadagnino. Hélas ici elle rejoue sa partition de "50 Nuances de Grey" et ce n’est pas gage de qualité. L’implication également en grand méchant de Tahar Rahim (découvert en 2009 dans "Un prophète" de Jacques Audiard) avait piqué notre curiosité. Il aurait même pu incarner un méchant générique, que l’on aurait acheté. Mais le film lui propose encore pire : les motivations du personnage sont d’une bêtise et en même temps d’une évidence si éclatante qu’il est presque difficile de le considérer comme un méchant. Ezekiel essaye au fond de se protéger lui-même d’assassins à venir (donc finalement, il a raison le bougre) pour défendre son empire, vu que le bonhomme est parti de rien. Mais, empire de quoi ?
Problème significatif et révélateur du métrage, jamais au grand jamais S.J. Clarkson ne s'échine à nous montrer quoi que ce soit. Tout est oral, le langage de l’image passe non pas au second plan, mais dans un des niveaux inférieurs du minimum syndical cinématographique. Tout est mentionné, mais jamais montré. Ezekiel règne donc, aux yeux du spectateur, sur rien. Sa quête est de son propre dire compliquée et fastidieuse, mais ce que le film daigne nous montrer c’est ce bon vieux Tahar Rahim qui séduit une haut placée de la NASA, pour coucher avec elle et la paralyser, afin de lui voler son petit badge. Quel défi spartiate effectivement ! Ne parlons pas de Cassandra Web, qui prend un temps certain pour comprendre qu’elle voit le futur immédiat grâce à ses nouveaux pouvoirs. Le montage le martèle et insiste tellement que ça nous paraît édifiant que notre chère Cass ne tilte pas plus tôt. Ne parlons pas des caractérisations aux fraises des trois spider-women en devenir, tant leur traitement provoque la gêne et l’incompréhension.
On ne peut qu’être fatigué de voir un traitement similaire quand il s’agit des blockbusters de super-héroïnes qui oscillent entre une mauvaise écriture qui ne pense qu’à cocher les cases d’un féminisme artificiel et le traitement par dessus la jambe de l’ensemble de la production (direction artistique, d’acteurs, mise en scène) à mille lieux de ce qui peut se faire en général quand il s’agit de mettre en scène des personnages masculins. Quand est-ce qu’elles ne se partageront pas un long métrage entier à quatre, pour avoir leur propre histoire ? Cette adaptation étant très libre vis à vis du personnage des planches de BD (hormis cet accoutrement à la fin, juste là pour faire plaisir aux fans - qui ne sont même pas présents dans la salle), elle aurait pu focaliser l’entièreté de son intrigue sur cette Madame Web, inconnue du grand public qui plus est. Pourquoi un tel je m'en-foutisme concernant ce type de productions ? (On pense aussi à "The Marvels").
En plus de nous marteler les tubes du début des années 2000 à la truelle (oui, le film se déroule en 2003... coup de vieux), le film ne nous sert aucune scène d’action digne de son budget qui s’élève à hauteur de 80 millions de dollars. 80 millions ! C’est le coup d’un film de science-fiction estampillé blockbuster, au hasard "The Creator" de Gareth Edwards, sorti l’année dernière. Malgré deux trois coups de caméra brutaux, qui utilisent le mouvement et la rapidité, les séquences se font souvent illisibles et on ne sait pas encore si on doit blâmer la seconde équipe en charge de ces scènes ou la volonté de cache-misère. Vous l’aurez compris, on ne va pas tirer sur l’ambulance plus longtemps, mais il est temps de dire à l’industrie de choisir ses films en prenant le temps, ne serait-ce que de fournir le minimum de pyrotechnie requis (et qu’on mérite !). Ça tombe bien, le public déserte de plus en plus les salles de certains films de super-héros franchisés (dont celui-ci, à l’heure où nous parlons le film a « seulement » récolté 23 millions de dollars dans le monde) et envoie un message clair aux majors : il est temps de nous refaire des bons films, même d’exploitation. "Madame Web" est à ranger entre "Daredevil" (2004) et "Catwoman" (Pitof, 2004) pour prendre la poussière.
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur