MA VIE MA GUEULE

Un film de Sophie Fillières

Une révérence entre comédie et poésie

Barberie Bichette, 55 ans, surnommée Barbie, se sent toujours de trop, perturbée par le choix d’une typographie, elle l’est autant par une copine envahissante qui essaye de la joindre. Du coup elle parle tout le temps, elle fuit, elle a peur de la mort, se demande si elle a été une bonne mère, s’interroge face à son psy : est-ce qu’elle va bien ? Un jour à une terrasse de café, un homme se rapproche et lui dit la connaître. Angoissée et croyant qu’il est la mort, elle lui répond qu’elle n’est pas prête…

Sophie Fillières, disparue le 31 juillet 2023 à l'âge de 59 ans, n’a pas pu terminer complètement son ultime film, "Ma Vie Ma Gueule". Ce sont ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer, qui en ont assuré la post-production et permis la découverte en ouverture de la Quinzaine des cinéastes, dans une ambiance et avec une émotion forcément particulière. Comme une prolongation de son état d’esprit, à travers le double d’elle qu'incarne à l’écran Agnès Jaoui, cette chronique douce-amère, sur une femme s’interrogeant sur sa vie et terrifié par la mort, touche forcément par sa douce poésie, autant qu’elle amuse par de petits aspects irrévérencieux.

Réalisatrice de "Gentille", "Un Chat Un Chat", "Arrête ou je continue", Sophie Fillières signe ici un portrait au ton si singulier, Agnès Jaoui composant à merveille cette femme en plein doute (même sur le choix des typos pour écrire un titre...), n'arrêtant pas d'exprimer à voix haute ses réflexions. Mettant ainsi le spectateur dans la confidence de ses interrogations, elle saoule en apparence son psy, connecte difficilement avec sa fille et son fils, trahissant ses angoisses liées au vieillissement, tout en ne cessant jamais d'aller vers les autres. Mais il faut dire que tout la renvoie à la misère quotidienne de son existence et à son image de femme déprimée, d’un homme qui pose son sac pour qu’elle ne s’assoie pas à côté de lui à une discussion de jeunes sur la sexualité (ou l’absence de celle-ci), en passant par une visite chez une bijoutière, le seul événement à célébrer étant... la retraite.

Le film est globalement constitué d’une succession de rencontres avec différents personnages, provoquant souvent de réjouissantes surprises : Philippe Katerine (et non pas Katerine Philippe) qui s’adresse à elle en anglais, une hyper-sensitive dans un bus (un des grands moments du film), des mendiantes pas si muettes, un homme qui s’approche d’elle au café, de table en table… Créant à chaque fois un décalage, par un comique de situation ou par la réaction même de cette tendre mère qui se cherche un nouvel élan, le scénario nous entraîne dans sa petite folie avec juste ce qu’il faut de poésie. Si la quête de soi-même entraînera notre sympathique héroïne vers l’Angleterre, pour un passage un peu long, elle n’en offrira pas moins une conclusion décalée qui pose le droit d’avoir chacun son propre univers, sur lequel on règne à sa propre mesure. Une manière de conserver au film, quelque peu hanté par le spectre d’une mort toujours rejetée à plus tard, son ton de comédie grinçante qui faisait tout le sel des scénarios de l’autrice.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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