MA’ ROSA
Une nuit au poste
Aller voir en salles un film de Brillante Mendoza est toujours la promesse d’une immersion totale dans un cadre hyperréaliste, avec ce que cela peut comporter de secousses et de sensations fortes. Des travellings virtuoses dans le cinéma porno de "Serbis" jusqu’à la longue marche tropicale de "Captive" en passant par les inoubliables ambiances nocturnes de "Kinatay", ce réalisateur philippin sait clouer son audience au fauteuil et redéfinir un style d’un film à l’autre. D’une certaine manière, "Ma’ Rosa" sera difficile à ranger dans cette catégorie. En optant pour la durée réelle d’une situation terrible dans les nuits agitées de Manille (comme dans "Kinatay") et en y ajoutant une nouvelle intrigue d’entraide familiale (comme dans "Lola"), Mendoza semble s’être un peu répété pour une fois. Reste que sa caméra réussit encore à créer de puissants after-shocks…
Au début, avouons-le, il y a de quoi avoir un peu peur : entre une caméra portée qui abuse des plans instables et/ou flous (le chef opérateur a visiblement du mal à faire le point…) et qui va même jusqu’à intégrer l’action par accident (l’un des personnages se cogne involontairement à la caméra avec son coude !), on sent déjà venir le ratage pseudo-documentaire. C’est pourtant mal connaître Mendoza, artisan d’un cinéma immersif et sans concessions, qui enregistre la vie d’un quartier en donnant à sa caméra le relief d’un œil perdu, d’un témoin égaré, obligé de se raccrocher aux informations qu’il glane ici et là. D’où une situation en temps réel, ici traduite en des termes topographiques : arrestation dans l’épicerie (scène géniale), interrogatoires musclés au poste par des flics ripoux, quête monétaire dans les rues de Manille par les enfants du couple arrêté (vendre une télé, se prostituer, etc.). Si le film brasse là encore des thèmes fétiches du cinéaste (surtout la corruption des forces policières et l’oppression des classes sociales les plus démunies – incarnées notamment par Jaclyn Jose, prix d’interprétation féminine à Cannes 2016), il tient en haleine jusqu’à un dénouement brillant, privilégiant la suspension à la résolution. Cela nous suffit amplement.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur