LUZ
Hypnose cinématographique
Quatre personnes sont dans une salle de conférence : une policière (Bertillon), un ingénieur du son (Olarte), un hypnotiseur (Dr. Rossini) et une jeune femme suspecte (Luz). La policière veut interroger cette dernière, mais elle ne se souvient de rien, elle fait donc appel à l’hypnotiseur. L’interrogatoire ne va pas se passer comme prévu…
Pour faire simple, ce que l'on peut dire c'est que "Luz" est un film de fin d'études très maîtrisé. Conçu comme une séance d'hypnose, le film est une expérience visuelle et sonore qui vient jouer avec les repères du spectateur. La dichotomie rêve-réalité ne peut pas rendre les deux camps en présence, car dans l’hypnose la patiente présentifie un moment passé. Tout devient bien plus compliqué quand le passé, qui jusqu’ici n’existait que dans la tête de la patiente, s’incarne dans son environnement, au présent.
Tilman Singer a travaillé avec la même équipe artistique pendant toutes ses études, il connaît donc très bien son directeur de la photographie Paul Faltz et son chef décorateur Dario Mendez Acosta. Ensemble, ils ont développé une grammaire cinématographique qu’ils maîtrisent à la perfection. Cela se ressent dans la gestion très efficace de l’environnement et la subtilité de l’intrusion du passé et du fantastique dans le présent. La forme et les effets de style ne sont alors jamais gratuits et viennent servir l’histoire. Les effets sonores, qui viennent bousculer les repères temporels et spatiaux du spectateur, sont astucieusement mis en scène avec la présence d’un ingénieur du son sensé enregistrer l’interrogatoire (ou plutôt la « séance »).
Le film est tourné en Super 16, et faire ce choix onéreux pour un projet étudiant implique deux choses : d’une part l’attachement à une certaine esthétique du film, un peu granuleuse et voilée, avec un cadrage spécifique, d’autre part cela indique aussi que les effets spéciaux seront des effets pratiques réalisés in -camera. "Luz" va également à contre-courant de l’esthétique contemporaine des films de « genre » par son absence totale de plan à l’épaule. La caméra est toujours appareillée. En faisant ce choix, Tilman Singer et son équipe cherchent de nouvelles façons de travailler la profondeur de leur image, et de dynamiser l’action. Les plans, à la grue ou à la steadycam, bien plus précis et maîtrisés, participent à leur tour à la mise en place de cette atmosphère, entre rêve et réalité.
Ainsi, une histoire assez simple se retrouve entourée de mystère, d’impossible et de tension, alors qu’on ne quitte jamais la salle de conférence/interrogatoire. Aidé par des performances saisissantes de Luana Vellis et Jan Bluthardt, et par le jeu sur les langues, figure classique de la possession depuis Tourneur, "Luz" vient clouer le spectateur dans son siège, le sidérer et lui redonner foi dans la possibilité d’un renouvellement du langage cinématographique et du pouvoir immersif du cinéma.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur