LOLA VERS LA MER
Vers la mère plutôt que vers l’amer
Lola est une jeune femme trans. À peine majeure, elle vit dans un foyer depuis deux ans. La mort de sa mère va précipiter les retrouvailles avec son père…
Toutes les personnes ayant vu "Girl" risquent de se dire : « oh tiens, encore un film belge qui parle du rapport entre une jeune trans et son père ». Mais quel que soit votre avis sur le film de Lukas Dhont, balayez immédiatement toute velléité de comparaison ! Notons seulement que, si "Lola vers la mer" (Prix du public au Festival FACE à FACE 2019) a l’inconvénient d’arriver après, il devrait éviter les polémiques stériles et procès d’intention dont "Girl" (Queer Palm à Cannes en 2018) a été la cible, ceci grâce au choix d’une actrice transgenre pour le rôle-titre, en la personne de l’inexpérimentée mais très convaincante Mya Bollaers, solaire et incandescente avec sa chevelure de feu.
Après un premier long métrage n’ayant pas bénéficié d’une sortie en France ("Even Lovers Get the Blues", montré tout de même au festival de Cabourg), Laurent Micheli aborde donc les thèmes de la transidentité et des relations père-enfant. Pour ce faire, il choisit la forme du road movie. Si cette option peut paraître inadaptée pour un pays aussi petit que la Belgique, elle est évidente car ce genre s’avère éminemment pertinent pour confronter des personnages tourmentés et pour évoquer subtilement leur trajectoire mentale. Dans "Lola vers la mer", la voiture devient donc un lieu de transition, de transmission et de transfert. Le véhicule alterne les mises en mouvement et les arrêts, et fait face à des assauts variées qui perturbent considérablement sa nature (la nuit, l’orage, la peinture, le lave-auto, le court-circuit…). Évidemment, tout ceci est une métaphore, un symbole de l’évolution des protagonistes, et particulière du père (propriétaire de l’automobile), qui a particulièrement du chemin à faire !
Laurent Micheli axe avant tout son film sur le duo Magimel-Bollaers, qui développe une réelle alchimie à l’écran – notons au passage chez l’acteur français cette capacité à porter la complexité de l’âme humaine, déjà observée dans "La Tête haute". Parmi les personnages secondaires, une femme sort du lot : la patronne du bar à hôtesses, interprétée par l’actrice flamande Els Deceukelier. Si l’arrivée dans ce lieu est quelque peu abracadabrante, on oublie rapidement le léger relâchement de mise en scène pour profiter de tout l’intérêt des scènes qui suivent. En effet c’est (paradoxalement ou non) en présence de cette maquerelle douce et bienveillante que le père commence vraiment à avoir les méninges qui se bousculent, et qu’il est contraint de constater que la réalité le dépasse et que tout n’est pas aussi cliché et manichéen qu’il ne le pense !
Sans dévoiler les instants-clés du film, il convient de saluer la subtilité avec laquelle le réalisateur montre ou suggère les évolutions des deux personnages et de leur relation. S’il n’évacue pas la rudesse (voire la brutalité) de la situation, Laurent Micheli prend soin de ne pas tomber dans la caricature d’un drame pesant (qu’il évacue dès les premiers plans, avec un brillant trompe-l’œil de mise en scène qui nous fait croire au pire !) et assaisonne au contraire son film de touches d’humour, de tendresse, de poésie, mais aussi d’un soupçon (pas trop appuyé) de fantastique, avec l’implicite présence de la mère qui semble guider les personnages ou leur envoyer des messages à travers quelques « signes ». Au final, on se dit qu’il n’y a rien de tel qu’un voyage pour dégager les horizons…
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur