LOIN DE CHEZ NOUS
Un docu à la première personne du pluriel
En 2015, deux Syriens, Milad et Jamil, décident d’émigrer vers l’Europe. Le réalisateur Wissam, qui est leur cousin, filme leur préparation…
Après "Little Palestine" sorti en janvier, voici un autre documentaire filmant le quotidien syrien de l’intérieur. Ici, le réalisateur syro-libanais Wissam Tanios suit le parcours de ses deux cousins dans leur quête d’une vie meilleure en Europe. Deux frères qui prennent des chemins séparés : Milad part de Damas pour rejoindre Berlin, alors que Jamil, déjà exilé au Liban, vise la Suède.
Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, il n’est pas tant question de leurs trajets respectifs, qui ne sont montrés que partiellement. Wissam Tanios se concentre beaucoup plus sur l’avant et l’après. Ainsi, il montre surtout leur préparation puis leur intégration. Avec un mélange de pudeur, de fierté et de nécessaire courage, les deux hommes hésitent parfois à partager leurs émotions et états d’âme, mais ils ne cachent pas leurs incertitudes, leurs agacements, mais aussi leurs rêves.
On ne sait finalement pas grand-chose de la manière dont Milad et Jamil réussissent leur périple (apparemment sans véritables heurts) ni la façon dont ils parviennent à se procurer logement, travail ou véhicule dans leur pays d’accueil. Car là n’est pas non plus l’intérêt de ce documentaire.
Wissam Tanios fait de son premier long métrage une sorte d’introspection en s’identifiant à ses cousins, alimentant "Loin de chez nous" de ses propres interrogations en voix-off et d’archives familiales. Ces dernières sont brillamment intégrées au montage, ne servant pas seulement d’illustrations mais de véritables échos temporels et émotionnels, comme lorsque Jamil enfant nage dans les vagues et que son père lui crie de ne pas aller trop loin, alors que Jamil adulte vient d’expliquer les risques qui l’attendent pour la traversée entre la côte turque et une île grecque.
Une autre qualité majeure du film vient des personnalités différentes des deux frères, Milad étant trompettiste et plutôt rêveur, alors que Jamil a besoin de travailler à tout prix, tant au Liban qu’en Suède, où il finit par reprendre le métier de son père (menuisier), comme si cette transmission indirecte lui permettait de garder un lien avec la Syrie.
Mêlant mélancolie et espérance, Wissam Tanios rend un vibrant hommage au courage et à la ténacité des immigrés à travers le double portrait de ses cousins. "Loin de chez nous" fait ainsi partie de ces œuvres humanistes qui pourraient changer le regard sur ces étrangers trop souvent vus comme des dangers ou des parasites.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur