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LA LOI DE LA JUNGLE

Un film de Antonin Peretjatko

Au diable les normes !

À cause d’un problème de RER, Marc Châtaigne arrive en retard au ministère de la Norme pour décrocher un nouveau stage. Dernier arrivé, dernier pourvu, il se retrouve chargé de la mise aux normes européennes du projet « Guyaneige », qui consiste à construire une station de ski artificiel en Amazonie. Tout juste débarqué à Kourou avec son code de la Norme sous le bras, Marc fait la connaissance de Tarzan, stagiaire elle aussi, avec qui il va connaître bien des mésaventures…

Hélitreuillée, une imposante statue de Marianne s’élève dans les airs. Portée triomphalement par l’hymne de l’eurovision, la République surfe ainsi élégamment au-dessus de la forêt amazonienne quand, sans prévenir, la corde casse et bim !… Voilà l’image de la France soumise à la loi de la jungle. Le ton est donné, le nouveau film de Antonin Peretjatko sera comme sa "Fille du 14 juillet" : un savoureux pamphlet cynique et burlesque sur les dérives de l’Administration.

Foutraque et potache, le style Peretjatko s’amuse à inventer des situations absurdes. Construire non loin de l'équateur un complexe sportif réfrigéré pour promouvoir les sports d’hiver en Guyane, quoi de plus ridicule n’est-ce pas ? Et pourtant… Cette « fantaisie » est loin d’être si surréaliste, à l’image de cette scène où le stagiaire maladroit de la femme de ménage engloutit d’un souffle la maquette d’un imposant pont à haubans. Évocation d’une scène bien réelle celle-ci : celle de la disparition des 50 millions d’euros payés par l’État français à une société privée brésilienne pour la construction de ce prestigieux édifice censé relié la Guyane au Brésil, or celui-ci n’a toujours pas construit la route qui va avec et le pont débouche en pleine forêt... Oups !

Ce petit bout de France, ancré à l’Amérique Latine comme une moule à son rocher, se révèle ainsi le terreau rêvé pour dénoncer toutes les contradictions d’un système étatique pesant, souvent piégé par sa propre inertie. Les situations burlesques se succèdent dans un trash bon enfant où se distillent des dialogues incisifs habilement écrits. « Le monde se divise en deux catégories, ceux qui gouvernent et ceux qui dirigent, toi tu gouvernes », déclame l’huissier à son compagnon de barque avant d’ordonner « À droite toute ! ». Ce dialogue résume assez bien l’intelligence d’esprit de cette œuvre engagée juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans le simple procès à charge.

Jamais racoleur, Antonin Peretjatko arrive à jouer des situations avec une précision d’orfèvre tout en faisant semblant du contraire. Derrière le discours frondeur se cache un vrai cinéaste qui aime conjuguer action et romance avec un charme décalé inspiré ouvertement des grands classiques populaires français. "L’homme de Rio" n’est pas si loin, à la différence près que ce n’est pas Vincent Macaigne qui castagne comme Bébel mais Vimala Pons : véritable tête brûlée affublée du nom approprié de Tarzan mais qu’on ne manquera pas d’effeuiller régulièrement pour aguicher les sentiments fébriles du timide Marc Châtaigne.

Paradoxalement à cette ambiance revisitée de « film à Papa », le réalisateur ne lésine pas sur les moyens pour plonger le spectateur dans la cruelle réalité du monde de la jungle. Sans effets spéciaux, ni cascades, il a soumis son équipe à l’eau croupie et à de vrais animaux, aussi impressionnants soient-ils (Vimala Pons mange réellement une poignée de grosses larves charnues et Vincent Macaigne a véritablement porté un boa autour du cou). Une expérience sensorielle qui ne laissera pas indifférentes les petites natures peu clientes de reportages animaliers. On sort du film presque lessivé, comme si nous avions nous-mêmes été bloqués trois jours dans la jungle. Ajoutons toutefois un petit bémol à toutes ses qualités, le film souffre parfois d’un excès de gags à répétitions qui alourdissent inutilement un récit déjà bien rythmé. Une petite faiblesse qui s’oublie rapidement devant la richesse du scénario et les dialogues de ce film hors norme qui se jouent du ministère de la Norme pour transgresser amoureusement des normes esthétiques passées. Un style qu’on apprécie é-normé-ment !

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

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