LIVIDE
Le retour des Mad Men
On n’en voudra pas à Julien Maury et Alexandre Bustillo, les deux réalisateurs made in « Mad Movies », d’avoir finalement décliné l’offre de remake d’ « Hellraiser » à Hollywood pour préférer tourner « Livide » sur le Vieux Continent. Ils seraient sans doute revenus exténués et frustrés de ce voyage à l’intérieur de la capitale mondiale du divertissement filmé, à l’image d’un Éric Valette ou d’un Mathieu Kassovitz, alors qu’il y a tant à faire, dans l’Hexagone, pour un cinéma de genre exsangue. Avec leur second long-métrage profondément ancré dans le genre horrifique, après un bien appétissant « À l’intérieur », Maury et Bustillo n’inventent certes rien : ni les formes, ni le récit, ni l’ambiance. À l’instar de la plupart de leurs petits camarades travaillant dans le même domaine, ils aiment à multiplier les références à des films aimés – ici « Suspiria » de Dario Argento, et son école de danse allemande servant de base arrière à une puissante sorcière – et, en conséquence, ne cherchent pas absolument l’originalité. L’intérêt de « Livide » est ailleurs, dans l’atmosphère angoissante que les deux compères parviennent petit à petit à imposer, produisant chez le spectateur, même un peu blindé, ce délicieux frisson qui traverse brièvement la colonne vertébrale.
Un film fonctionne souvent sur de menus détails marquants, et le duo a trouvé le « truc » qui immédiatement crée un lien entre le spectateur et l’héroïne : un gros plan sur son visage, en ouverture du film, révèle ses yeux vairons. Cette hétérochromie marquée, qui oblige la caméra à s’approcher très près du visage de la jeune actrice Chloé Coulloud, participe grandement de l’identification du personnage en lui octroyant une distinction physique à la fois saisissante et discrète. En un plan, Lucie Clavel n’est plus seulement une jeune femme qui attend, protégée sous l’abribus d’une froide ville bretonne, que les fantômes viennent à sa rencontre : elle est également un esprit instable, en équilibre entre les deux versants de la réalité. L’onirisme ténébreux du récit agit bientôt comme la validation de ce constat, qui veut que pour un esprit propice comme celui de Lucie, les portes de l’autre monde puissent ouvrir sur une réalité alternative poétique. Inutile de dire que la présence magnétique de Chloé Coulloud est pour beaucoup dans le plaisir qui exsude du film, là où ses deux camarades masculins sont moins convaincants.
Sans être une parfaite réussite, « Livide » emballe surtout dans sa première heure, qui suit la visite des cambrioleurs amateurs dans la vaste et inquiétante demeure de Deborah Jessel (patronyme piqué, au passage, aux « Innocents » de Jack Clayton, et qui donne déjà un indice sérieux aux cinéphiles sur la nature du personnage incarné par la danseuse Pietragalla) à la façon d’une lugubre balade en train fantôme. L’énorme travail du décorateur Marc Thiébault transforme un ennuyeux manoir en une délirante foire à la frayeur, parsemée de dessins d’enfants, de gueules d’animaux passées par la taxidermie (« Psychose » n’est jamais loin, même en 2011), d’objets poussiéreux, de miroirs étranges. Avec, en clou du spectacle, une poupée musicale grandeur nature et une dînette d’animaux empaillés qui rappellent, indirectement, l’univers sordide de la version tchèque d’Alice au pays des merveilles réalisée par Jan Svankmajer (« Alice »). Un tel soin apporté à l’esthétique de « Livide », s’il n’excuse pas l’affleurement du grotesque dans le dénouement, redonne néanmoins quelques couleurs au visage blafard arboré depuis quelques années par le cinéma de genre français.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur