LITTLE BIG WOMEN
Filmer les histoires de famille
Monsieur Chen décède à l’hôpital le jour de l’anniversaire de Madame Lin. Ils ne se sont pas vus depuis plus de dix ans, mais il est toujours son mari et elle décide de prendre en charge ses obsèques. Avec ses trois filles, très différentes les unes des autres, elle entreprend d’organiser les derniers rituels pour cet homme qui a profondément marqué leur vie.
Sortie le 5 février 2021 sur Netflix
Malgré la ressemblance avec le titre du livre de Louisa May Alcott, le film n’a pas grand-chose à voir avec "Les Quatre Filles du docteur March" ("Little Women" en VO), si ce n’est qu’il met en scène quatre personnages féminins : trois sœurs et leur mère, auxquelles viennent s’adjoindre deux autres femmes, la mystérieuse Madame Tsai, dernière amante du défunt Monsieur Chen, et la jeune Clémentine, fille de la benjamine de la famille Lin.
Il se dégage de ce film une impression de justesse et de très grande sincérité. Les comportements de ces femmes, leurs réactions et leur douleur n’ont rien de limpides, ni de sensés, ils sont avant tout naturels et la narration semble les suivre plus que les imposer. Elles sont incohérentes, elles ne font pas ce qu’il faut, elles ne s’écoutent pas, ne se soutiennent pas, elles sont dures les unes avec les autres, se font souffrir, comme le ferait une vraie famille, et c’est de ces petits riens qu’émerge ce sentiment de véracité et de justesse qui rend chacune d’elles touchante. Le film ébauche des portraits de femmes, les caractérisant par leur état émotionnel plutôt que par leur histoire, permettant ainsi au spectateur de s’identifier à chacune, au fur et à mesure de la narration, et de se retrouver dans ce qu’elle vit ou a vécu.
Ainsi, ce film évolue dans un équilibre délicat, il semble vrai sans être documentaire et beau sans être esthétisant. Dans certaines scènes, néanmoins, la musique très présente pousse le film du côté du mélodrame. Cependant la retenue et la qualité du jeu des actrices l’empêchent de sombrer dans un pathos larmoyant.
Il s’agit d’une œuvre réussie, complexe et riche. Ces deux heures ne sont pas forcément les plus faciles à vivre, surtout si l’on a soi-même vécu une période de deuil, mais ce sont deux heures pleines d’humanité et de beauté, qui invitent à une forme de réconciliation avec la famille et le passé, quel qu’il ait été. C’est un film qui sort des sentiers battus et rebattus d’un certain cinéma français ou américain sur ce genre de thème. Les archétypes s’effondrent face à la complexité d’une histoire familiale. Le cinéma taïwanais témoigne ici une nouvelle fois de sa compétence dans le traitement de l’intime.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur