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LICORICE PIZZA

Once upon a time… in PTA’s World

En 1973, dans la région de Los Angeles, Gary Valentine, jeune adolescent avec une expérience d’acteur derrière lui, fait connaissance d’Alana Kane, assistante du photographe qui s’occupe des photos de classe du lycée de Gary. Le premier s’empresse de draguer la seconde, qui se désintéresse de lui tout en s’amusant de son assurance hors normes. Elle décide de l’accompagner à New York pour une émission de télévision, et à partir de là, leur amitié naissante va faire se succéder des hauts et des bas…

Licorice Pizza film movie

Chaque nouveau film de Paul Thomas Anderson (« PTA » pour les intimes) est sinon un événement, en tout cas un marqueur de plus sur le tracé d’un cinéma indépendant américain en constante évolution. Si l’on hésite aujourd’hui de moins en moins à rapprocher le cinéaste de "Magnolia" de son ami Quentin Tarantino, c’est parce que les deux tracent des lignes parallèles quasi identiques depuis leurs débuts. Soit des filmographies où le facteur cinéphile se révélait aussi vital que décisif, stimulant l’élaboration d’un film placé sous le signe de la référence, de la révérence et du post-modernisme, le tout sous l’angle d’une écriture acérée et d’un goût immodéré pour les ambiances de leurs jeunesses respectives, capables de perpétuer leur « idéal » par le biais de la fiction. Là-dessus, pas de surprise, le marqueur temporel reste le même : les années 70. Et c’est ainsi qu’après une longue décennie à multiplier les audaces narratives et les partis pris casse-gueule sur des films aussi radicaux que "The Master" et "Inherent Vice", PTA s’offre une parenthèse enchantée avec ce qui s’impose d’entrée comme son film le plus personnel.

On va d’abord préciser que le titre (cette fameuse « pizza réglisse ») désigne en réalité une chaîne de magasins qui vendait des disques vinyles dans la Californie de cette époque. Et on argumentera encore en disant qu’ici, les vinyles ne sont en rien un enjeu narratif. Tout juste peut-on dire que le terme « vinyle » désigne ici la matière avec laquelle est fabriqué un accessoire vendu par les deux héros, et que les disques vinyles tournent ici en boucle via une BO medley 70’s à tomber par terre. En réalité, "Licorice Pizza" se veut une histoire d’amour pas simple entre deux jeunes pré-adultes, ni plus ni moins. Et pour peupler les 2h15 qui en séparent les extrémités (de la rencontre amicale au baiser amoureux : est-ce vraiment un spoiler ?), le cinéaste s’en tient à une suite de déviations narratives imprévisibles et de tranches de vie qui transpirent le vécu 70’s.

Au-delà du récit lui-même, on ressent surtout ici le plaisir d’investir la Californie d’il y a un demi-siècle, de s’épanouir dans son atmosphère si particulière, de se familiariser avec les codes et le rythme de cette époque. Le choix de la vallée de San Fernando – connue pour être la Mecque du cinéma porno à cette époque-là – devrait en principe nous renvoyer à la case "Boogie Nights", mais à vrai dire, on pense davantage à ce que Quentin Tarantino avait magistralement réussi avec "Once upon a time in Hollywood". A se demander si "Licorice Pizza" ne serait pas la réponse amicale au dernier film de Tarantino : il s’agit moins d’un film qui fait office de mélancolie vis-à-vis d’une époque révolue que d’une œuvre simple, modeste, qui puise dans le souvenir pour en tirer des histoires et un point de vue.

Dans un premier temps, on sent PTA prendre un pied énorme à disposer ces pions et ces fétiches, à commencer par un casting qui donne le vertige. En vrac : Cooper Hoffman (fils du grand et défunt Philip Seymour), Alana Haim (chanteuse du groupe Haim, ici accompagnée de sa famille au grand complet), des potes du coin dans des rôles secondaires (Sean Penn, Bradley Cooper, Benny Safdie, Tom Waits…), sans oublier des choix familiaux que l’on jurerait revendiqués en tant que tels (les enfants de PTA, son épouse Maya Rudolph, le père de Leonardo DiCaprio, la fille de Steven Spielberg, etc…). Mais à mesure que le scénario zappe d’une histoire à l’autre en fonction des trajectoires plus ou moins disjointes des deux protagonistes (ils enchaînent les petits jobs et essaient jusqu’au bout de toucher du doigt la réussite sociale), les années 70 se retrouvent teintés de cette même noirceur qui, autrefois, cassait à mi-parcours l’ambiance idyllique de "Boogie Nights". Les violences policières injustifiées, le sexisme sous-jacent, la crise pétrolière qui active le chaos sur les routes, le racisme ordinaire, l’homophobie tenace, l’hypocrisie politicienne, l’espionnite aiguë, etc… Tant d’épreuves ont ici le chic pour étoffer les caractères, décupler l’émotion, mais aussi provoquer de vraies surprises parfois génératrices de fous rires en cascade – cette longue suite de péripéties nocturnes avec un Bradley Cooper totalement fêlé vaut à elle seule le prix du ticket de cinéma.

Confiant dans son montage (tantôt lancinant tantôt ultra-dynamique) comme dans sa direction d’acteur (irréprochable jusqu’au plus petit second rôle), PTA ne fait ainsi pas seulement du pied au teen-movie – en l’état le genre le plus adapté à dérouler tout le champ lexical du passage à l’âge adulte. La liberté et l’anticonformisme dont il a fait preuve durant toute sa carrière est ici appliquée à l’échelle d’un film. Plus précisément à l’échelle d’une love-story très spéciale, à ce point si excentrique et déroutante qu’elle en vient à refléter l’insouciance d’une génération désireuse de continuer à rêver, y compris quand le mur de la réalité surgit au détour d’une route. Les deux personnages se rencontrent, puis s’aident, puis se disputent et se séparent, puis se retrouvent, pour finalement refaire le même parcours délié, comme pour mieux prouver que leurs deux trajectoires tantôt parallèles tantôt superposées sont en fait liées à tout jamais.

Cette divagation narrative cimente tout le plaisir du film, tout en nous laissant parfois un peu frustrés par une écriture qui semble sous pilotage automatique à force de voir le cinéaste passer du coq à l’âne avec les souvenirs qui le travaillent. Le film donne parfois l’impression de ne pas savoir où il va ni même où il souhaite en venir, et il faut un certain temps de familiarisation pour s’apercevoir que tout l’intérêt réside là-dedans. On niera certes tout lien avec les premiers films de la Nouvelle Vague (vu que l’improvisation scénique et scénaristique est depuis longtemps à proscrire du vocabulaire de PTA), mais cet esprit de liberté et d’authenticité qui les caractérisait se rappelle parfois à nous. On ressort de "Licorice Pizza" en se disant que cette balade mémorielle avait quelque chose de tout à fait charmant (le film devrait sans doute bien vieillir dans les années à venir) et qu’au fond, Paul Thomas Anderson a peut-être réalisé là son "American Graffiti" à lui. Le prochain film devrait donc être, à coup sûr, un énième nouveau départ.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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