LES VOLEURS DE CHEVAUX
Une famille dans un pays
Odasyn est un éleveur de chevaux pauvre du Kazakhstan. Alors qu’il part vendre ses chevaux au marché, il est trahi et exécuté par des voleurs. Sa femme Aigul et son fils Olzhas, 12 ans, vont devoir réinventer leur vie sans homme à la maison…
"Les voleurs de chevaux" est un mélange de mythologies. D'un côté, il y a le départ du père, de l'autre, il y a le retour du passé et enfin, il y a l'apprentissage du fils. Et au milieu de ces destins masculins, il y a l'avenir de la mère.
En effet, Odasyn meurt rapidement. Il était le patriarche, un homme jeune, honnête et bon, et il disparaît subitement. Il meurt injustement, dans le silence, dans ces montagnes balayées par le vent, où tout semble loin de tout. L'espace incompressible de la vallée et des pics, des routes de terres droites et sans fin, isolent les gens qui ont adoptés le silence, le calme et la réserve des grands édifices de pierre millénaires qui les entourent.
L'homme est mort donc. Il laisse femme et enfant derrière lui. L'absurde de l'existence, la gratuité de la violence, la cupidité des hommes, ouvrent cette narration sans sourciller et sans s'appesantir. Il y a l'un premier indices que ce film ne partira dans la direction où les narrations plus traditionnelles (dans le sens de plus occidentales), ont tendance à aller.
En effet ce n'est pas sur le chemin de la vengeance que s'engage ce film, mais sur celui de la résilience. La mort est là, certes, mais Aigul et Olzhas n'ont d'autre choix que d'avancer. Elle, parce qu'elle est femme et qu'elle est accrochée à la vie, qu'elle doit porter ses enfants et ne pas laisser mourir sa famille. Elle, parce qu'elle est encore jeune, encore belle, et qu'elle n'a pas renoncé à la vie, qu'elle refuse de céder à la tristesse, à l'apitoiement. Elle, parce qu'elle a vécu avant cet homme et qu'elle vivra après. Et lui alors, lui le jeune Olzhas qui a perdu son père, lui qui rêve encore en couleur plus vives que le monde qui l'entoure, pourquoi continue-t-il ? Il n'y a pas eu d'avant pour lui, dans ce monde patriarcal, son modèle s'effondre, que lui reste-t-il ?
Dire qu'il doit continuer parce qu'il a fait une promesse à ce père serait un peu facile et placerait la motivation du personnage à l'extérieur de lui-même. Mais ici, pas de facilité d'écriture : si Olzhas veut vire, veut continuer, c'est parce que la mort d'un autre que lui ne lui indique en rien sa propre finitude. Son père n'était pas lui, et ce n'est pas son avenir qu'il a vu mourir avec cet homme qui lui ressemblait peu. Son avenir est ailleurs, loin de la ferme familiale. Son avenir a encore à advenir, à s'incarner. Sa voie n'est pas bouchée par le départ d'un père, elle s'ouvre à une figure masculine qui lui correspond plus, et qui ressemblera peut-être à celle de cet homme seul qui descend du bus et qui semble connaître sa mère : Koirat.
D'abord une simple histoire de famille, "Les voleurs de chevaux", par son rapport à l'espace, devient une fable universelle qui tente de capturer l'âme d'un pays. Grandiose en toute discrétion, sublime et humble, humain et éternel, le travail de Yerlan Nurmukhambetov et Lisa Takeba est une très grande réussite.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur