LES NUITS DE MASHHAD
Un brillant thriller, à la fois féministe et dénonciateur
Iran 2001. Dans des rues mal famées de la ville sainte de Mashhad, un homme se fait passer pour un client et attire les prostituées, pour mieux les étrangler. Après plusieurs meurtres similaires, une jeune journaliste de Téhéran enquête sur l’affaire, alors que les autorités semblent démunies, et que son journal reçoit des coups de fil d’un homme disant faire le « Djihad du vice », en voulant débarrasser la ville des prostituées…
C’est à partir de fait réels qui se sont produits entre 2000 et 2001, que Ali Abbasi (réalisateur iranien ayant les nationalités danoise et suédoise, déjà auteur du remarqué "Border", primé à Un certain regard en 2018) a rédigé le scénario du palpitant thriller politique "Les nuits de Mashhad". Un film aux élans féministes, dont l’action se situe en Iran, mêlant enjeux politiques, corruption, poids de la religion dans la vie civile et condition de la femme. En disposant en effet comme personnage principal une journaliste, son film prend en effet une dimension universelle, en forme de récit d’émancipation face aux hommes tout puissants et prêts à s’entraider. Bien décidée à démasquer un tueur en série qui s’attaque aux prostituées en prétendant purifier les rues de la ville, son arrivée seule à son hôtel est en soi un symbole, installant une tension autour d’elle, alors qu’on refuse de lui donner sa chambre, n’étant pas mariée, ceci jusqu’à ce qu’elle montre sa carte de presse.
Choisissant de ne pas cacher l’identité du tueur, Ali Abbasi peut ainsi installer progressivement le caractère d’illuminé de celui-ci, créant l’effroi par le contraste entre sa situation familiale et la nature des meurtres, et se focalisant ponctuellement sur ses perversions, afin de mieux montrer la dimension « humaine » de son comportement (et non sa sainteté proclamée). Son scénario peut alors déployer l’abîme sous les pieds de toute une société (et donc d’un spectateur témoin de l’impensable), entre tentation du verdict populaire, autorités liées à une religion prête à utiliser le mal en sa faveur, invasion de la sphère privée par des valeurs autant morales que politiques. Il dénonce ainsi un système machiste, relayant de génération en génération le mépris de la femme dans toutes ses dimensions, aussi bien de corps (les ébats avec les prostituées sont montrés comme violents), d’indépendance, que d’intelligence.
La mise en scène d’Ali Abbasi ajoute de la tension, la caméra devenant plus fébrile lors des scènes de rue, jouant du contraste entre le calme apparent de l’assassin et la nervosité de ceux qui sont à sa recherche. Il compose de plus quelques plans saisissants, sur l’immensité de la ville comme sur une simple main tendue sous la pluie, cherchant là une approbation divine qui ne viendra pas. Côté interprétation, Mehdi Bajestani impressionne dans son rôle de tueur méticuleux qui est aussi père de famille. Mais c’est Zar Amir Ebrahimi, dans le rôle porte étendard de journaliste déterminée qui aura eu les faveurs du jury cannois qui lui a décerné un fort mérité Prix d’interprétation féminine. Thriller passionnant qui fait froid dans le dos, "Les nuits de Mashhad" dénonce finalement avant tout la capacité des hommes à se croire tout puissants, que ce soit dans une dimension individuelle, administrative ou collective, et le pire : la transmission de ces valeurs, appuyée par les autorités, les religieux et même les familles.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur