LES MYSTÈRES DE BARCELONE
Des prodiges d’esthétique, pour un récit sordide
Barcelone, 1912. Une nouvelle petite fille vient de disparaître. Il s’agit de Teresa Guitart, issue d’une famille riche. Alors que la police se lance sur la piste d’une suspecte, un journaliste, Sebastià Comas, tente de mener sa propre enquête et de rassembler des preuves de l’épouvantable vérité, qu’il croit avoir découverte…
"Les Mystères de Barcelone" (traduction ici du titre original "La vampira de Barcelone") arrive sur nos écrans avec une belle réputation, auréolé de ses 5 Gaudis, les prix du cinéma catalan, dont celui du Meilleur film. Passé par le Festival du film fantastique de Sitges l'an dernier, le film s'inspire de faits réels, l'histoire d'Enriqueta Martí, surnommée La Vampire du Raval (quartier à l’époque pauvre et industriel), qui a fait la Une des journaux, accusée d'enlèvement d'enfants, de proxénétisme et de meurtres en série. De cette histoire sordide et des contestations dont elle a par la suite fait l'objet, Lluis Danès, auteur de films télés et documentaires, tire un thriller à la limite de l'horrifique, tâchant de démontrer une machination de bien plus grande envergure.
Avec pour héros un journaliste accro à la morphine, c'est le monde cauchemardesque des sous-sols d'un quartier populaire et mal famé, que l'on découvre, en opposition aux riches salons des quartiers bourgeois. Décrivant deux mondes que tout semble opposer, le scénario prend peu à peu son personnage au même piège que l'accusée, tous deux cherchant une vérité qui ne veut pas émerger, se complaisant dans les bas fonds. Au-delà du fait divers, le traitement esthétique du film contribue à l'ambiance nauséabonde du film, qui englobe le spectateur jusqu'à l’asphyxie. Démarrant en noir et blanc, le film joue ainsi de belles variations alors qu'on découvre les divagations ou les cauchemars du personnage central.
Il dispose ainsi ponctuellement d'éléments de couleurs (un supposé cœur dans un bocal...), allant parfois jusqu'à juxtaposer deux ambiances sur un même plan, et voit soudain ses décors passer en 2D à la manière d'un livre pop up (des tramways en carton, des arbres en quatre éléments...) dans lequel évolueraient les personnages. Mais par dessus tout, Lluis Danès a le don pour composer des visions saisissantes, comme lorsqu'une prostituée soulève sa robe, laissant apparaître des enfants comme prisonniers sous les arceaux de celle-ci, ou lorsque deux grands yeux rouges apparaissent dans le ciel. Au final, "Les Mystères de Barcelone", dans lequel on retrouve avec plaisir Sergi López en policier bourru, est autant un thriller efficace qu'une expérience visuelle troublante, dont de nombreux plans semblent de vrais tableaux.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur