LES MITCHELL CONTRE LES MACHINES
La créativité à l’honneur !
Katie Mitchell est une jeune fille créative qui s’est toujours sentie à part et qui est déçue par le manque de reconnaissance de son père. C’est donc avec enthousiasme et soulagement qu’elle envisage ses très prochaines études de cinéma à l’université. Quand son père décide de recoller les morceaux en annulant son billet d’avion pour faire le trajet en voiture et en famille, c’est un peu la fin du monde pour Katie, qui va rater les journées d’intégration. Mais au même moment, des robots préparent une vraie fin du monde…
Sortie le 30 avril 2021 sur Netflix
Après "Love and Monsters", Netflix récupère une deuxième comédie post-apocalyptique initialement prévue pour le cinéma. D’abord annoncé en salles pour décembre 2020 sous le titre "Déconnectés" (la bande-annonce tournant à plein régime à l’automne), "Les Mitchell contre les machines" est donc relégué sur nos écrans personnels (plus ou moins petits), ce qui peut s’avérer frustrant pour un divertissement aussi alléchant, produit par les réalisateurs de l’excellente "Grande Aventure Lego".
Il est par ailleurs possible de se dire que la trame générale a une vague saveur de déjà-vu, sur fond de famille à reconstruire et de révolte de robots voulant anéantir l’humanité – et il faut avouer qu’on peut deviner assez facilement les grandes lignes d’un joyeux dénouement. Pourtant, ce constat potentiellement peu réjouissant est loin d’être un handicap car les créateurs de ce long métrage semblent se donner une mission folle : être novateur tout en recyclant ! On n’est donc pas au bout de nos surprises, avec des idées qui s’enchaînent à un rythme hallucinant, qu’elles soient visuelles, scénaristiques ou humoristiques. Mieux : lorsqu’on pense que le film verse dans la facilité voire dans le cliché, c’est souvent pour mieux nous étonner, généralement avec un twist humoristique, l’inattendu renforçant alors notre hilarité. Mieux encore : un running gag, apparemment insignifiant et purement fun, peut devenir un ressort majeur du récit ! Vous l’aurez donc compris : l’ingéniosité peut surgir de partout et c’est sans temps mort que l’on déguste cette pépite.
Grâce à un astucieux flashforward introductif, on est instantanément dans l’action et on embarque rapidement dans ce rafraîchissant film d’animation avec l’impression d’être dans un manège à grande vitesse. Même si la scène inaugurale est suivie d’un retour à un quotidien plutôt normal, la présentation des principaux protagonistes ne rompt pas le rythme et on a d’autant plus envie de suivre leurs aventures que la famille Mitchell est une mixture de ménage lambda et de foyer déjanté. Derrière les délires et les marginalités, reposent ainsi des rêves et des doutes, des ambitions et des lâchetés, de l’amour et des rancunes… Bref, les Mitchell seront les héros, OK, mais c’est également un peu nous, avec tous nos vices et tracas !
Véritable ode aux imperfections (humaines ou technologiques), "Les Mitchell contre les machines" fait aussi preuve d’une intelligente critique sociale derrière le vernis du grand spectacle. Sans manichéisme, le film met en question notre dépendance aux technologies et aux réseaux sociaux tout en affirmant que ces mêmes outils ont aussi des vertus, notamment d’un point de vue créatif. Katie, héroïne artiste, fait figure d’alter ego du réalisateur Mike Rianda (au passage, il ne verse pas dans la facilité en éviter de se transposer dans un petit mec, tout en assurant lui-même la voix du petit frère pour brouiller les pistes). Ce personnage permet une délicieuse mise en abyme avec les vidéos qu’elle crée (qui ont un côté bricolé très Michel Gondry). Le film parvient aussi à se moquer à la fois de la recherche de l’excellence (souvent feinte pour ne pas perdre la face socialement) et des anomalies qui entravent les rapports humains (difficulté à s’assumer, pudeur des sentiments, timidité maladive, etc.). Bref, rien n’est parfait mais c’est aussi ce qui donne tant de saveurs variées à la réalité – ce que dit autrement une réplique de la mère : « Souffrir, ça fait partie de la vie, chéri ».
Ainsi, face au double mythe de la « famille fonctionnelle » et du progrès technologique vertueux, "Les Mitchell contre les machines" tord et retord le concept de fonctionnalité. Si le projet de robot assistant dysfonctionne, c’est parce qu’il fonctionne presque trop bien – et vice-versa quand il s’agit d’exploiter les failles du plan diabolique de l’intelligence artificielle. Et si les Mitchell restent le dernier espoir de l’humanité dans ce récit, c’est parce que leurs dysfonctionnements les rendent imprévisibles, donc pleinement humains. Ainsi, les notions mêmes de perfection et d’imperfection deviennent vaines : le parfait peut s’avérer mauvais et l’imparfait libérateur.
Tout cela trouve aussi un écho esthétique : "Les Mitchell contre les machines" parvient par exemple à magnifier le kitsch via les montages de Katie. Mais surtout, jamais la 3D et la 2D n’ont fait aussi bon ménage, l’imbrication des techniques participant à faire briller nos yeux. Ajoutons, dans cette recette déjà bien fournie, tout un mélange de références et clins d’œil qui ne sont jamais trop appuyés (comme la scène dans le centre commercial qui semble convoquer à la fois à "L’Armée des morts" de Romero et "Gremlins") et nous voilà avec près de deux heures d’enthousiasme, à goûter dans la bonne humeur.
Remarque finale : Netflix considère que ce film est fait pour un public à partir de 7 ans, mais cela ne semble guère pertinent. Le scénario, la construction du récit, le rythme infernal ou encore certaines thématiques font que ce long métrage s’adresse à un public plus mature, a minima à partir de 11-12 ans, voire plus si l’on veut cerner les subtilités de ce bijou.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur