LES HÉROS NE MEURENT JAMAIS
Science-fiction sans science ni fiction ?
Alors qu’il rentre du marché, Jonathan se fait arrêter par un SDF qui reconnaît en lui un soldat bosniaque mort le 21 août 1983. Or le 21 août 1983 est la date de naissance de Jonathan. Il pense alors être la réincarnation de cet homme dont il veut connaître l’existence. Il parle alors de ce projet à son amie Alice, documentariste, qui est déjà allée dans la région. Elle décide de monter une équipe et de filmer leur voyage…
Aude-Léa Rapin est une documentariste qui avec ce film fait ses premiers pas dans la fiction. Conçu comme un documentaire en found footage, ce film met en scène la petite équipe constituée de Jonathan (le sujet), Alice (la documentariste), Virginie (la preneuse son) et Paul (la caméra et le caméraman), qui partent en Bosnie-Herzégovine, sur les traces de l’ancienne vie de Jonathan.
Assez absurde, le film dégage un certain potentiel comique en raison de la maladresse de ses personnages. Il y a aussi un certain jeu avec la caméra, supposément un personnage en elle-même, qui filme parfois des choses un peu étranges. Mais l’émotion est aussi au rendez-vous, surtout dans les deux séquences finales qui dévoilent, pour la première, l’étendue et la profondeur du jeu d’Adèle Haenel, et pour la seconde, la force de la mise en scène ainsi que la gestion de la lumière par la réalisatrice.
Sous ses airs de ne pas y toucher, et le dénonçant même directement, ce film a également une dimension politique et sociale. En raison d’un tournage en décors naturels et avec un casting local, ce film ne pouvait s’affranchir de parler de la réalité politique dans laquelle évolue les personnages. En plein cœur de l’Europe, dans une ville qui a accueilli les jeux olympiques d’hiver, existent encore des champs de mine, des tombes solitaires au milieu de la montagne, et des centaines de disparus.
Une scène se consacre à ce sujet et dénonce la récupération médiatique d’évènement de ce genre. Une vieille femme dit à Alice qu’elle n’a plus de nouvelle d’elle depuis qu’elle est partie et qu’elle ne vient la voir que pour entendre des histoires sordides, qu’elle a déjà racontées. Alors que les habitants passent à autre chose, les télés du monde ne les considèrent que comme des survivants. Ils n’existent qu’en tant que victimes pour eux, pas comme des individus, tout juste bons à fournir de l’émotion facile, le pathos à bas prix du voyeurisme de la violence.
Ce film est un tout petit film. Sans grande ambition, cette histoire étonnante de réincarnation, prend corps quand elle s’éloigne de son contexte politique pour se consacrer pleinement à ses personnages.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur