LES GENS D'A CÔTÉ

Un film de André Téchiné

« On ne vit pas dans le même monde », « mais on pourrait faire des efforts »

Arrivée à l’âge de la retraite, Lucie, malgré les difficultés de son métier d’agent de la police technique et scientifique, voudrait prolonger un peu. Mais son quotidien, solitaire depuis que son compagnon a disparu, est troublé par l’arrivée d’un jeune couple dans le pavillon voisin. Yann et Julia sont les parents d’une petite fille, Rose, pour laquelle elle se prend vite d’affection. Un jour, Lucie aperçoit Yann avec un autre homme, en train de préparer une banderole anti-flics. Elle prend alors la plaque d’immatriculation en photos et découvre qu’en plus d’être artiste peintre, Yann fait aussi partie d’un groupe d’activistes anti-police et dispose d’un important casier judiciaire…

Le nouveau film d’André Techiné ("Ma saison préférée", "Les Témoins"…), découvert dans la section Panorama du dernier Festival de Berlin, s’attaque à un sujet brûlant, celui de l’activisme des Black Bloc, et par-delà, celui du vivre ensemble. Car forcément dans cette œuvre sensible, coécrite avec Régis de Martrin-Donos, c’est avant tout aux êtres humains que le metteur en scène de "Quand on a 17 ans" s’intéresse. C’est ainsi que "Les gens d’à côté" se concentre avant tout sur cette femme policière (Isabelle Huppert, impériale de dignité et de recul introspectif) qui a perdu son mari, policier suicidé, et qui trouve avec ses voisins une nouvelle famille, dont il lui appartient finalement d’accepter les défauts, faute de les comprendre.

Il en résulte ainsi une troublante histoire d’amitié biaisée entre Lucie et ses nouveaux voisins, dont le mari s'avère être un activiste anti-flics, qui tente d’éviter tout manichéisme. Ici une double inquiétude plane, celle liée aux activités du mari, Yann, et au danger qu’il peut faire courir à sa famille, et celle liée au secret du métier de la première, potentiel détonateur, qui pourrait non seulement ruiner leur amitié naissante, mais aussi déclencher une violence jusque-là sous entendue. Savoir séparer sa vie professionnelle de sa vie privée, se donner du temps pour apprendre à connaître les gens au lieu de les juger, tenter de se mettre un minimum à la place des autres, partager la vie de quelqu’un dont on n'a pas les mêmes idées, voilà autant de thèmes qui traversent une intrigue qui questionne la possibilité, aujourd’hui, d’un vivre ensemble, tout comme les limites du militantisme.

Le scénario ponctue avec justesse cette histoire prenante, de moments oniriques où apparaît le fantôme de Slimane, le mari disparu, que nous annonçait la voix-off d’Isabelle Huppert comme étant « toujours là », avec elle. Sans être une voix de la conscience, celui-ci est la caution d’équilibre de cette veuve, un élément apaisant face au trouble que génère le fonctionnement d’un monde détraqué où les policiers se suicident (le film s’ouvre d’ailleurs sur une manifestation à ce sujet…) et des citoyens en viennent à la violence, seule forme d’expression capable d’être entendue. Savoir dialoguer même avec l’ennemi, tout en étant conscient de l’humanité de celui-ci, voilà sans doute le sujet de ce thriller psychologique étonnant. Notons enfin que le duo composé par Nahuel Perez Biscayart et Hafsia Herzi, s’avère crédible de bout en bout, aussi solide en apparence que fragile dans ses non-dits. Évoluant sur le fil du rasoir, le dernier André Téchiné est donc propre à semer le trouble. Entre tentation de la délation, risque de dévoiement de sa fonction, mensonges et omissions, solitude et famille de substitution, il livre un beau portrait de policière restée, elle aussi, avant tout humaine.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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