LES FEUILLES MORTES
Kaurismaki au summum de la comédie désabusée
Holappa, ouvrier métallurgique porté sur l’alcool, fait la connaissance de Ansa, vendeuse en supermarché, un soir, alors qu’elle le trouve endormi à un arrête de bus à la sortie d’un bar. Après un café et un cinéma, elle lui laisse son numéro. Mais le hasard s’en mêle et Holappa perd accidentellement le numéro…
Nouveau film du réalisateur culte finlandais Aki Kaurismaki, "Les Feuilles Mortes", doit son titre à la célèbre chanson d'Yves Montand, écrite par Jacques Prévert et composée par Joseph Kosma, que l’on pourra entendre au générique de fin du film, dans une version finlandaise. Comme il l’a déjà fait dans ses comédies dramatiques de la fin des années 90 – début des années 2000 ("Au loin s’en vont les nuages", "L'Homme sans passé"…), l’auteur développe une histoire d’amour sur fond de pauvreté et de hasards, le cynisme et l’absurde disposant d’une bonne place.
Clairement articulée autour de hasards heureux et souvent malheureux, c’est à dire de ce qui fait et défait une relation, le film dispose de toutes les composantes habituelles qui ont fait le succès de Kaurismaki : des plans calculés aux couleurs volontairement ternes, des personnages peu bavards quand ils ne sont pas mutiques, des dialogues ironiques voire absurdes qui en disent long, et une multitude de détails visuels en second plan. Le tout fonctionne donc à merveille, certains diront sans surprise, mais avec une cohérence impressionnante, sur fond ici de guerre en Ukraine (qui revient régulièrement au travers de news radio), de pauvreté et d’exploitation d’un peuple réduit à la survie et à la tristesse. Autant de traits de notre époque actuelle, qui se retrouvent dans cette histoire romantique et intemporelle.
De cette rencontre contrariée, on retiendra plusieurs éléments réjouissants. D’abord l’humour insistant autour de l’alcool, à la fois pseudo-assumé (les cachettes inventives pour des bouteilles, la minimisation du nombre de verres, les valeurs poétiques de la boisson…) ou condamné à doses d’humour noir (les morts autour de l’héroïne…). Ensuite l’approche élégante de la pauvreté ambiante (il vit dans un vieux wagon et se retrouve régulièrement renvoyé, elle passe de petit boulot en petit boulot, et n’a chez elle qu’une seule assiette…). Enfin, ses allusions cinéphiles, le lieu cinéma jouant ici un rôle important, et les échanges autour de leur premier film ensemble (un film de zombies) s’avérant formidables de naturel irrévérencieux, faisant référence au rapport des spectateurs aux films art et essai, comme à la notion de comique.
Dans une esthétique fanée, les costumes ou décors des "Feuilles Mortes" évoquant les fifties, les personnages se frôlent et s’éloignent du fait d’une maladresse touchante. Les rares dialogues, souvent en apparences absurdes, se font des révélateurs d’une situation (la solitude, les mauvaises habitudes…) ou d’une réelle détresse. Pas étonnant que le film ait été l’un des préférés des festivaliers et que le jury du Festival de Cannes lui ait décerné son Prix du jury. En espérant que les salles seront pour le film le lieu d’un petit triomphe, comme ce fut le cas pour "Le Havre".
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur