LES FÉMINISTES : À QUOI PENSAIENT-ELLES ?
Un fond très intéressant mais un projet mal défini
À la fin des années 1970, la photographe Cynthia McAdams réalise des dizaines de portraits de féministes. Une quarantaine d’années plus tard, la réalisatrice Johanna Demetrakas part à la rencontre de ces femmes pour qu’elles racontent leur parcours et leurs idées…
Sortie le 12 octobre 2018 sur Netflix
A priori, un documentaire sur le féminisme est toujours intéressant. Et avec tout ce que les diverses femmes interrogées racontent, le fond de celui-ci l’est indéniablement. Il convient malheureusement de constater que la forme annihile un peu (voire beaucoup) cet intérêt, aussi pertinents soient la plupart des témoignages et propos du film – on ne dissertera pas ici sur les multiples aspects de ce fond que l’on vous engage tout de même à découvrir par vous-même malgré les bémols que nous formulons ici.
Le premier gros embarras du film réside dans son titre, qui illustre à lui seul la façon dont le projet a été si mal défini. En VF comme en VO (puisque la traduction est littérale), cet intitulé ambigu a de quoi dérouter : pourquoi cette conjugaison au passé ? Le féminisme appartiendrait-il seulement au passé ? La réponse est non, évidemment, et le contenu du film montre fort justement que ce combat reste d’actualité, y compris pour défendre des acquis fragiles comme le droit à l’avortement. Mais cela signifie donc que le film se focalise avant tout sur une certaine génération de féministes, et plus précisément ce que l’on appelle généralement la « deuxième vague féministe », qui commence à la fin des années 1960.
Or, le titre comme le contenu du film ne sont pas suffisamment explicites à ce sujet, d’autant que les femmes interrogées sont pour partie plus jeunes que cette génération, ce qui contribue à brouiller encore plus la définition du projet. Par ailleurs, alors que le documentaire semble vouloir retrouver des femmes photographiées par Cynthia McAdams, ce fil rouge se noie ensuite dans le reste pour ne devenir qu’une sorte d’illustration ponctuelle ou de transition d’une protagoniste à une autre, mais en aucun cas un gage de construction d’une réalisation claire et stable. De ce point de vue aussi, la présence des plus jeunes n’est pas cohérente non plus, alors qu’elle est pourtant logique et nécessaire pour insister sur l’héritage et la poursuite nécessaire des revendications féministes.
Rapidement, on fait face à une overdose de témoignages qui sert donc très mal le propos. On a même parfois l’impression de dévier du sujet, par exemple quand certaines protagonistes évoquent des aspects de leur enfance qui n’ont pas de lien direct avec le féminisme – et le documentaire ne peut guère prendre le temps d’exploiter des liens plus ténus en brossant un portrait plus approfondie des femmes concernées, vu le nombre trop important de personnes interrogées. Ainsi, on regrette que le projet se soit limité à un long métrage d’à peine 1h26 alors qu’un format de série documentaire aurait été bien plus pertinent et plus efficace, en permettant soit de polariser chaque épisode sur une personnalité différente, soit de combiner l’ensemble selon des axes thématiques qui se seraient bien mieux enchaînés que dans ce film malheureusement indigeste.
Quelle déception, avec une telle richesse de témoignages !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur