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LES CHAMBRES ROUGES

Un film de Pascal Plante

Dark Web

Chaque matin, deux jeunes femmes se pressent aux portes du palais de justice de Montréal afin d’assister au procès d’un meurtrier présumé qui aurait filmé puis vendu en ligne la mise à mort de ses victimes. Si l’une d’elles, Clémentine, s’obstine à contester les conclusions de l’enquête et à croire en l’innocence de l’accusé, l’autre, Kelly-Anne, mannequin de son métier, cultive une fascination croissante pour ces mystérieuses vidéos, en particulier pour celle, toujours manquante, qui permettrait de parachever ce puzzle criminel…

Encore une fiction centrée sur la fascination de l’animal social pour un imaginaire morbide de moins en moins assimilable à des légendes urbaines ? Alejandro Amenabar et Joel Schumacher n’avaient-ils pas déjà fait le tour de la question avec "Tesis" et "8 mm" ? Il faut croire que non, tant la démarche du réalisateur québécois Pascal Plante ("Nadia Butterfly") crée une rupture tant stylistique que narrative. Parce qu’il creuse la fascination envers les images violentes pour ce qu’elle métaphorise avant tout, à savoir un abîme propice au plus effroyable des vertiges. Parce qu’il se refuse au sensationnalisme morbide dont le torture porn continue de se faire souvent le relais, et ce par le biais d’une gestion prodigieuse du hors-champ (quelques bribes auditives et un filtre rougeâtre croissant sont ici amplement suffisants). Parce qu’il réussit à se montrer dérangeant par son obstination à cadrer et à creuser des visages qui suggèrent tout à force de ne rien clarifier du tout. Bref, parce qu’il se concentre sur le paradoxe de ceux qui, une fois confrontés au Mal, deviennent les sujets – et les vecteurs – d’une contamination tous azimuts.

Le premier quart d’heure a beau nous inciter à enfiler une fois de plus nos charentaises de cinéphile biberonné au film de procès (un genre décidément très en vogue ces derniers temps…), il n’en faut pas beaucoup au cinéaste pour suggérer que quelque chose cloche dans cette affaire. Pas tant du côté de l’accusé (dont la question de la culpabilité se retrouve assez vite reléguée au second plan), pas tant non plus du côté du fait divers criminel sur lequel le tribunal ne cesse de revenir en détail (les avocats et les témoignages se succèdent comme dans n’importe quel film de procès), mais du côté des deux jeunes femmes que de savants jeux de cadrage n’ont pas tardé à isoler en pièces centrales de la narration.

D’une part l’archétype auquel on pouvait s’attendre (la groupie instable qui conteste tout ce qui relève de l’évidence), d’autre part l’énigme à laquelle on ne s’attendait pas. Ce personnage de Kelly-Anne, auquel l’actrice Juliette Gariépy confère une prodigieuse opacité, est un peu comme une carapace abstraite dont chaque nouvelle scène ne cesse d’amplifier l’angoissant mystère. Cadrée avec le monde extérieur dans son dos quand elle navigue sur son ordinateur depuis son loft high-tech surplombant la ville (le genre de plan qui se passe de commentaires), isolée comme une intruse à jeu multiple parmi les spectateurs du procès, elle devient le relais autant que le symptôme d’un contemporain de plus en plus contaminé par le mal numérique. Et il suffit ici d’un simple plan fixe sur son visage pour qu’une trouille exponentielle ne puisse plus nous lâcher.

Lorsqu’il réalisait son génial "Tesis" il y a presque trente ans, Alejandro Amenabar confiait que le sujet central de son film résidait dans l’idée de voir des personnages en train de « toucher la mort ». Mais ce qui se traduisait alors à l’écran par un contact tactile à double sens (toucher un cadavre ou tenter de dévisager « l’ange de la mort ») a désormais changé de nature. Si ces fameuses « red rooms » désignées par le titre de son film tendent à cristalliser cette dimension 2.0 du phénomène snuff (un dark web potentiellement gavé de vidéos interdites), alors Pascal Plante réussit ici à prendre le pouls de cet espace contemporain irrémédiablement vérolé, où l’on ne craint plus d’ouvrir les yeux pour « voir » ou d’affronter l’horreur de ce que l’on (sous-)entend. Le choc attendu est bel et bien là, indiscutable et imparable, par le biais d’une mise en scène redoutablement intelligente qui ne tombe dans aucun piège et qui impose sa puissance dérangeante.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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