LES BARBARES

Un film de Julie Delpy

Scénario redoutable pour immigration « choisie »

À Paimpont, petit village breton de 500 âmes, une équipe de tournage régionale fait un reportage à l’occasion de l’accueil d’une famille de réfugiés ukrainiens, chose qui avait fait l’objet d’un vote « unanime » au conseil municipal. Mais le jour venu, Joëlle, institutrice, qui s’occupe du contact avec la préfecture, apprend au maire qu’il s’agira en fait d’une famille de réfugiés syriens…

Julie Delpy s’est depuis longtemps inspirée des différences culturelles entre pays, pour s’amuser des a priori et des clichés entre nationalités. C’était même le ressort principal du jouissif "2 Days in Paris", avec la plongée d’un fiancé américain dans sa belle famille parisienne de gauche, et de sa suite un peu moins drôle, "2 Days in New York", qu’elle a elle-même réalisés. C’était aussi un des points forts du triptyque de Richard Linklater ("Before Sunset", "Before Sunrise" et "Before Midnight") dont elle a écrit les scénarios. Habituée à d’intelligentes et provocatrices joutes verbales, elle n’a aussi pas son pareil pour croquer les comportements familiaux, à la manière de micro-sociétés où les gens s’aiment autant qu’ils aiment se détester (voir le formidable "Le Skylab", réunion de famille à la fois grinçante et hilarante qui nous ramenait à une fin des années 70 pas si différente d'aujourd'hui).

La voici qui met sa plume au service d’un discours non pas plus politique (car ses autres scénarios transpiraient déjà une compréhension des tensions de la société), mais plus engagé, au travers du portrait d’un village français traversé par les divisions de la société d’aujourd’hui, dont les composantes vont être mises face à une souffrance en quasiment rien comparable à la leur, avec cette famille syrienne composée d’un couple, de la sœur du mari, des deux enfants et du grand père. Le casting est comme toujours chez la réalisatrice aux petits oignons, avec Sandrine Kiberlain en épicière trompée et pas si généreuse, Laurent Lafitte en plombier raciste, Brigitte Roüan en restauratrice à la crêperie désertée, Albert Delpy en vieux paysan gauchiste, Jean-Charles Clichet en maire lâche qui n’aime pas les remous, Marc Fraize en policier traumatisé par son passage à la Criminelle, et bien entendu Julie Delpy elle-même en institutrice dont les élans généreux dépassent son entregent et l’obligent à mentir.

Chacun des personnages s’avère finalement assez attachant, ne se rendant souvent pas compte de l’énormité de certaines pensées formulées en paroles. Tourné au départ à la manière du reportage régional, le film reprend une forme plus classique pour ses 4 chapitres, offrant quelques beaux moments, principalement autour des composantes de la famille syrienne, paisible et curieuse de la culture française, comme des autres. Et comme à l'habitude on se régale de quelques savoureuses et significatives répliques. Qu'il s'agisse des considérations peu humanistes du maire (« les ukrainiens sont très demandés sur le marché du réfugié », des considérations douteuses de la crêpière (« il y a voilée et voilée »...), des vérités cyniques de la famille syrienne (« les vendeurs d'armes n'ont plus besoin de notre guerre », en évoquant le conflit en Ukraine), des a priori racistes du policier (« c'est pas des Maliens, ou pire, des Roumains... »), ou encore des vacheries du personnage d'Albert Delpy (« j'aime pas voir les saisonniers moches, ça fait peur aux légumes »), qu'il débite dans la plus grande joie taquine. Finir sur « on a encore du boulot » était en tous cas parfaitement adéquat.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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