LES 2 ALFRED
L’impitoyable monde du travail tourné en une jouissive dérision
Alexandre, au chômage, est mis à l’épreuve par sa femme. Celle-ci lui a laissé les enfants, dont un bébé, et donné deux mois pour lui prouver qu’il peut s’en occuper et retrouver un travail. Après des entretiens ratés, il en vient à mentir pour se faire embaucher par la start up The Box, en déclarant qu’il n’a pas d’enfant. Il fait alors la connaissance de Séverine, sa supérieure, à la réputation de tueuse…
Cette nouvelle comédie, signée Bruno Podalydès ("Bancs publics", "Le mystère de la chambre jaune"), s’attaque avec véhémence et humour, non seulement au monde du travail, vu sous le prisme supposé moderne des start up, mais aussi à l’intrusion du numérique dans nos vies. Embauchant son frère Denis comme acteur principal (un chômeur vieillissant, peinant à trouver sa place), mais aussi Sandrine Kiberlain (épatante en cheffe de projet ultra-connectée), et se donnant lui-même le rôle d’Arcimboldo (sorte de squatteur céleste, pas aussi libre qu’il le prétend), il en fait une épée caustique, capable de brocarder aussi bien les méthodes hypocrites de recrutement, le management parapluie superficiel, l’insupportable flot des acronymes et anglicismes, l’uberisation de la société, que le gap entre solutions numériques et population.
Jouant avec délice du comique de répétition, avec notamment l’apparition récurrente d’une voiture autonome pas si intelligente que cela (une trouvaille irrésistible) ou de drones pour des livraisons (les ColiBirds) devenues chaotiques, le long métrage trouve le juste équilibre entre comédie rythmée et dénonciations en règles. Passant au crible toutes les dérives de petits boulots épuisants (VTC, coursier…) comme du fonctionnement en entreprise (positivisme de façade, moments de fausse convivialité, méthodes sparadrap pour gérer le stress, vocabulaire opaque, ambitions démesurées…), le film semble procurer à ses acteurs autant de plaisir qu’aux spectateurs.
Denis Podalydès affiche d’emblée un malin plaisir, lorsqu’il édicte avec une fausse naïveté les trois qualités dont le manager face à lui n’a que faire : honnêteté, gentillesse et indulgence. Sandrine Kiberlain s’impose en dictatrice adepte de nouvelles technologies « pour la forme ». Bruno Podalydès adopte une bonhommie déconcertante. Et des tas de seconds rôles ont répondu présents, de Vanessa Paradis (qui fait une apparition tardive en l’épouse de Podalydès) à Michel Vuillermoz, en passant par Isabelle Candelier ou Jean-Noël Brouté. Au final, "Les 2 Alfred", qui trouve son titre dans le doudou en forme de 2 singes attachés l’un à l’autre, restera probablement comme le meilleur film des frères Podalydès, et prône sans doute une chose derrière ses multiples gags : un retour de l’humain et du lien en entreprise.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur